I. Le tathagatagarbha, ālayavijñāna, ou le corps du dharma[1]
Dans le sutra Bu zeng bu jian jing
[2], le Bouddha a dit :
Sariputra
[3], le vrai sens de la vie, le plus profond, c'est le premier sens
[4]. Ce premier sens, c'est celui qui est capable de créer des êtres ordinaires qui soient différents les uns des autres. Ce premier sens, c'est le tathagatagarbha. Le tathagatagarbha est le corps du dharma.
Sariputra, ce corps du dharma a été maculé de souillures aussi innombrables que les grains de sable que renferme le Gange. Depuis le non commencement jusqu'au monde actuel, les souillures en nombre infini continuent d'entacher le corps du dharma. Elles sont pareilles au flux et au reflux perpétuel des vagues, naissant et mourant sans cesse. Ainsi, c'est telles des vagues que sont définis les êtres ordinaires.
Sariputra, ceux qui savent que le corps du dharma est étranger à toutes les souffrances qui apparaissent dans ce monde entre la naissance et la mort, ceux qui vont se concentrer sur ce corps du dharma pour éliminer tous les désirs, ceux qui vont pratiquer les dix paramitas et les quatre-vingt-quatre-mille méthodes et qui vont parcourir le chemin de la sagesse, on les appelle des bodhisattva.
Sariputra, celui qui s'appuie sur le corps du dharma peut se séparer et se détacher de toutes les souffrances du monde. Il peut s'élever au-delà de toutes les souffrances et n'est maculé par aucune souillure. Utilise ce corps du dharma pour atteindre à un état de pureté et de propreté, utilise ce corps pour passer de « l’autre côté »
[5], pour accéder à une terre sensible où tous les êtres aimeraient vivre. Quelles que soient les circonstances, les êtres qui s’y trouvent y sont parfaitement bien. Nul ne peut atteindre un niveau plus élevé que celui-là. Celui qui y vit a dépassé tout ce qui faisait obstacle, tout ce qui le gênait. Il est équanime, quel que soit le dharma présent. On dit que c'est un bouddha sammāsambuddho
[6].
Sariputra, si les fonctions des êtres ordinaires n'existaient pas, il n'y aurait pas de corps du dharma. S'il n'y avait pas de corps du dharma, il n'y aurait pas de fonctions ni de niveaux d'existence propres aux êtres ordinaires. Ces différentes fonctions des êtres ordinaires, ces différents niveaux d'existence des êtres ordinaires sont les corps du dharma et les corps du dharma sont ces différents niveaux d'existence des êtres ordinaires.
À partir de cet extrait nous pouvons comprendre que le corps du dharma est le tathagatagarbha. C'est grâce au corps du dharma présent dans le corps des êtres ordinaires que nous pouvons dire que ces êtres sont des êtres ordinaires. Le corps du dharma est présent également chez les bodhisattva, c'est-à-dire chez des gens qui ont rompu en partie leur ignorance concernant l’origine de chaque pensée et l’ignorance du principe sans commencement. On appelle bouddha celui qui a mis un terme définitif à ces deux formes d'ignorance. Il existe donc trois noms différents pour désigner les êtres, mais il existe un seul et même corps du dharma.
Ce corps du dharma, ou tathagatagarbha, contient tout ce dont nous avons besoin. Nous ne l'obtenons pas par la pratique, puisqu'il est omniprésent, puisqu'il est incréé. Il est étranger à la capacité de sentir et de ressentir, au sentiment de possession et à la faculté de discerner les choses. Sa nature elle-même est propre, bien qu'il puisse contenir des graines contaminées.
Nous avons besoin de la conscience mentale pour réfléchir, observer et comprendre comment se manifeste le corps du dharma. Nous devons ensuite pratiquer pour pouvoir purifier les graines contaminées et atteindre à la vraie sagesse.
Il existe pour désigner ce corps du dharma chez les êtres ordinaires, trois expressions : « la vraie ainsité qui s'écoule sans cesse », « la vraie ainsité qui s'exprime sous la forme d'un langage imagé », « la vraie ainsité qui contient en soi des comportements inappropriés ».
Concernant le corps du dharma des bodhisattva qui ont accédé à un niveau inférieur ou égal au septième bhumi et qui ont atteint les trois premiers fruits d'arhat, on désigne ce corps du dharma sous l'expression suivante : « la vraie ainsité qui a le comportement juste ». Pour ceux qui ont étudié les vijñāna et qui ne sont pas encore illuminés, on parle de la vraie ainsité en termes de « vraie ainsité par concept
[7] ». Pour ceux qui étudient les vijñāna et sont illuminés, on parle de la vraie ainsité en termes de « la vraie ainsité discriminatrice
[8] ». Pour les grands arhat, les pratiyaka buddha et les bodhisattva dont le niveau est égal ou supérieur au huitième bhumi, le corps du dharma est nommé « ainsité vraie et pure ».
Mais ces pratiquants n'ont pas encore atteint la bouddhéité. Concernant les bodhisattva dont le niveau est égal ou supérieur au huitième bhumi, ils continuent d'être dans les huit formes de l’ignorance du principe sans commencement et doivent toujours éliminer les quatre types d'obstacles. Ils n'atteindront le niveau de bouddha qu'une fois qu'ils se seront libérés de tous ces obstacles.
La vraie ainsité, selon que nous avons à faire à des êtres ordinaires ou à des bouddhas, porte donc des noms différents. Pour ceux qui ont un niveau inférieur ou égal au septième bhumi et au troisième fruit d'arhat, la vraie ainsité s'appelle ālayavijñāna. Pour ceux dont le niveau est supérieur ou égal au huitième bhumi et au quatrième fruit d'arhat, la vraie ainsité s'appelle amalavijñāna. Pour ceux enfin qui n'ont plus du tout de graines contaminées, qui ont atteint la bouddhéité, la vraie ainsité s'appelle vijñāna propre, non contaminée, āmalakavijñāna.
La vraie ainsité est comme un corps portant plusieurs dénominations. Ce corps du dharma, ālayavijñāna, existe depuis toujours et ne sera jamais détruit ; sa nature est propre, bien qu'il contienne des graines contaminées.
Le pratiquant a besoin d'écouter le véritable enseignement, puis de pratiquer le vrai dharma s'il veut pouvoir purifier toutes les graines contaminées en lui et accéder à la bouddhéité. C'est pourquoi, dans le mahāvaipulya-buddhâvataṃsaka-sūtra, le Bouddha a dit que la vraie ainsité n'est pas un sujet de pratique, mais qu'on doit pourtant pratiquer. La vraie ainsité est l'état où se trouve un bouddha.
Dans un certain sutra, le Bouddha a dit :
Vajragarbha
[9], écoute-moi. Un bouddha est toujours constant, il ne change jamais. Cet état est celui où se trouve le pratiquant qui récite le nom de bouddha. Cet état, on le nomme tathagatagarbha. Ce « corps » ressemble à un vide incorruptible situé dans l’espace. Il est l'état de nirvāṇa. On le nomme « réalité du monde du dharma ».
Vajragarbha répondit :
« Les ālayavijñāna de tous les êtres sensibles existent depuis toujours. Ils ont tout ce qu'il faut en eux-mêmes et ils sont propres. Ils sont au-delà des trois mondes. Ils sont nirvāṇa. Ils sont comme la lune telle qu'elle se présente aux différents continents : les êtres sensibles la verront tantôt pleine, tantôt sous la forme d'un croissant. La lune elle-même pourtant n'a jamais rien perdu ni gagné de son volume. Les tathagatagarbha sont comme la lune : ils sont présents dans les différents mondes, et chacun d'eux est entier. À l'instar de la lune, ils n'ont jamais rien perdu ni gagné.
Mais les gens qui manquent de sagesse ont des pensées incohérentes à ce sujet et s'attachent à ces pensées. Si certaines personnes peuvent avoir une réelle compréhension, elles vont accéder à un état de non-contamination. Une fois qu'elles ont atteint cet état, elles peuvent comprendre les différentes fonctions d'ālayavijñāna. »
On peut donc savoir, par conséquent, que l'ālayavijñāna est le tathagatagarbha. Dans ce même sutra il est dit aussi
[10] :
L'ālayavijñāna est la base de tous les dharma, qu’il s’agisse des dharma contaminés ou des dharma non contaminés. Il est nécessaire de recourir à un dharma non fonctionnel pour pouvoir affirmer l'existence des dharma fonctionnels. Tous les saints
[11] sont restés dans cet état de samādhi propre à l'ālayavijñāna. Les êtres humains et les êtres célestes, les bouddhas de toutes les terres, tous ces êtres ont une source commune : l'ālayavijñāna. L'ālayavijñāna est capable de fournir les graines propres aux trois véhicules
[12] afin que, plus tard, les gens puissent en retirer les fruits. Celui qui peut comprendre toutes les caractéristiques qui définissent la sagesse des graines a atteint le niveau de bouddha.
[…] Le tathagatagarbha contient en soi-même tous les pouvoirs et tous les mérites nécessaires. Même si un être sensible est né dans un endroit défavorisé et qu'il rencontre de nombreuses difficultés, c'est encore à cause d'ālayavijñāna que ces conditions ont été réunies.
L'ālayavijñāna est constante, et toutes les autres vijñāna ont été créées par elle et en sont tributaires. Elles sont comme l’eau d’un moulin, comme les étoiles qui accompagnent toujours la lune. Les vijñāna vont créer des habitudes qui, elles-mêmes, vont générer de nouvelles habitudes. Ces nouvelles habitudes vont être enregistrées et former de nouveaux comportements qui remodèleront les vijñāna. Ces modifications des vijñāna vont à leur tour former de nouvelles habitudes. C'est comme une roue qui tourne sans fin. Seuls, ceux qui sont illuminés peuvent ralentir le mouvement de cette roue.
L'ālayavijñāna est comme le feu qui brûle la forêt : le feu va brûler un arbre, puis un autre et encore un autre. Si la personne est illuminée, elle se basera sur l'ālayavijñāna, sur ce cœur qui n'est ni contaminé ni fonctionnel. Elle nettoiera alors les souillures, qui sont les causes des réincarnations. Lorsque ce travail sera fait, le cycle des réincarnations s'achèvera.
Le tathagatagarbha fonctionne de cette manière. Il contient les habitudes sous forme de graines karmiques. Ceux qui ont pu atteindre le vrai samadhi auront plus de facilité à observer les graines karmiques des habitudes. Le tathagatagarbha et les autres vijñāna fonctionnent tous à l’image de ce feu. Ils ont tissé entre eux des liens extrêmement étroits. Seul, celui qui connaît le secret du vrai samadhi est capable d'observer aisément les liens d'interdépendance qui existent entre le tathagatagarbha et les autres vijñāna.
Depuis des temps infinis, les visions erronées et les karmas sont liés à l'ālayavijñāna. Cela explique le cycle perpétuel des réincarnations, qui est semblable à l'océan qui, agité par le vent, forme des vagues qui vont et viennent sans cesse. Ce sont les vagues des vijñāna. Ce mouvement perpétuel fait que tout ce qui apparaît n'est ni créé ni détruit.
La plupart des êtres sensibles n'en sont pas conscients et vont se laisser diriger par leurs propres vijñāna. Mais ceux qui ont assez de sagesse pour prendre conscience de ces mécanismes procèderont comme s'ils allumaient un feu dans la forêt : ils finiront par brûler toutes leurs vijñāna et rentreront alors dans l'état non contaminé
[13].
L'ālayavijñāna fonctionne de manière identique : elle contient toutes les graines karmiques pures, non contaminées, à l'instar d'un bouddha. À ceci près que l'ālayavijñāna, chez les êtres sensibles ordinaires, contient aussi de nombreuses souillures. Les bodhisattva illuminés vont transformer toutes les mauvaises habitudes jusqu'à atteindre la bouddhéité et, de là, pouvoir maintenir les graines propres ainsi obtenues.
Le tathagatagarbha fonctionne ainsi. Il possède tout ce qu'il faut pour pouvoir tout analyser, en particulier les graines d'habitude qui se développent à chaque réincarnation nouvelle. Celui qui est illuminé peut s'appuyer sur le tathagatagarbha afin, petit à petit, de suivre le chemin pur et sain
[14]. Il doit passer d'abord le stade du dixième bhumi de bodhisattva. Il parvient alors à entrer en terre de bouddha et à accéder aux dix pouvoirs. Dès lors, il restera toujours dans l'état où se trouve la vraie ainsité, à tout jamais indestructible, demeurant dans un état de conscience non discriminant et pouvant utiliser à l'infini ses pouvoirs.
Le Bouddha a expliqué que le tathagatagarbha était l'ālayavijñāna. Les gens qui nourrissent une vision erronée ne peuvent comprendre cela : le tathagatagarbha, c'est klayavijnana
[15]. L'ālayavijñāna du Bouddha est propre, contrairement à celle des gens ordinaires. Ceci est comparable à l'or et les anneaux d’or, qui sont la même chose et sont pourtant différents.
On peut donc savoir que le tathagatagarbha est l'ālayavijñāna.
II. Les tathagatagarbha sont dans le corps des gens ordinaires, non dans des espaces vides
Il est dit dans le troisième chapitre du Lankāvatāra sutra (je cite ce sutra pour attester ce que j'avance) :
Alors le bodhisattva Mahamati s'approcha du Bouddha et lui posa une question : « Bhagavad
[16], dans le sutra, tu dis que le tathagatagarbha est de nature pure et qu'il contient les trente-deux grands caractéristiques
[17]. Tu dis que le tathagatagarbha est présent dans le corps de tous les êtres ordinaires, mais qu'il est sali par trois souillures : l'avidité, l'aversion et l'ignorance, qui se manifestent dans les corps des agrégats. Ces corps des agrégats ainsi maculés ne sont pas réels et cachent un trésor d'une valeur inestimable. »
D'après le The Chanzha shane yebao jing
[18], il est dit :
La nature du corps du dharma n'est pas vide : il existe réellement, il contient une infinité de karmas non contaminés. En outre, il existe depuis toujours, il est parfait et n'est jamais né. Il est toujours présent dans le corps de tous les êtres sensibles, que nous soyons des pratiquants ou non. Il n'a jamais subi le moindre changement, n'a jamais été modifié, augmenté ou diminué de quoi que ce soit.
Selon le Samdhinirmocana-sutra, le Bouddha a dit, au premier chapitre :
Cette vijñāna s'appelle ālayavijñāna. Pourquoi cela s'appelle-t-il ālayavijñāna ? Parce que c'est la vijñāna qui maintient en vie le corps physique. Le corps en dépend totalement. Cette vijñāna se nomme aussi ālayavijñāna parce qu'elle est cachée dans ce corps qu’elle maintient en vie. Lorsqu'elle manifeste de la tranquillité, le corps lui-même se sent tranquille. Si elle manifeste du danger, le corps lui-même se sent en danger. Cette vijñāna, on peut la nommer autrement : le vrai cœur.
Dans certains sutras, le Bouddha a dit encore:
Le tathagatagarbha est situé dans le corps physique. Il contient toutes les graines karmiques et maintient en vie le corps physique. Il fixe la durée de son existence, sa chaleur et la qualité de discernement à laquelle il est rattaché. Il est comme les nuages qui couvrent notre monde : il ne cesse jamais et les êtres sensibles eux-mêmes ne le voient pas.
Dans la chapitre IX du Mahasatyanirgrantha sutra, il est dit :
Le roi s'adressa alors au Bouddha : « Grand maître, qu'est-ce que le corps du dharma ? Comment puis-je l'observer ? » Le Bouddha répondit : « Les êtres sensibles qui sont très préoccupés doivent observer ce qui les préoccupe. Tous ces soucis qu’ils ont sont des manifestations du corps du dharma. Il est possible d'observer le corps du dharma en observant l'avarice, l'ignorance et le désir présents dans les êtres sensibles. On peut observer aussi le corps du dharma à partir des quatre visions erronées
[19]. On peut aussi observer le corps du dharma à travers le monde des agrégats. On peut aussi observer le corps du dharma à travers les êtres sensibles qui sont en enfer, à travers les animaux, les esprits affamés et les asura.
Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que ce corps du dharma est le tathagatagarbha. Ô roi, sache que, au sein de toutes les préoccupations se cache la nature du tathagatagarbha. Les préoccupations sont ainsi subtilement remplies. Elles sont comme des pierres qui contiennent de l'or. Elles sont comme du bois qui contient du feu. Elles sont comme le sous-sol qui contient de l'eau. Elles sont comme le lait qui contient de la crème. Elles sont comme le sésame qui contient de l'huile. Elles sont comme le nouveau-né qui porte des dents. Elles sont comme une cachette qui contient un trésor. Elles sont comme un aveugle qui touche un éléphant. Elles sont comme une femme enceinte qui porte un enfant. Elles sont comme le nuage qui cache le soleil. Les corps qui contiennent toutes ces préoccupations contiennent elles-mêmes le tathagatagarbha.
Dans le tathagatagarbha-sutra, il est dit :
« Ô homme saint, les êtres sensibles parcourent les différentes routes des réincarnations et leurs corps sont emplis de souillures. Mais leur tathagatagarbha est toujours en eux, constant, et n'a jamais été contaminé. Il contient tous les mérites pour devenir un bouddha, exactement comme moi : il n'y a pas de différences avec moi.
Ô homme saint, voici un exemple : ceux qui ont le pouvoir de l'œil du ciel peuvent voir les gens qui se sont réincarnés dans la terre pure d'Amithaba bouddha : ces gens se trouvent dans le bourgeon d'une fleur de lotus au centre duquel repose assis un bouddha en posture de méditation. Lorsque les pétales se sont ouverts, le bouddha apparaît.
Ô homme saint, le bouddha voit le tathagatagarbha de tous ces êtres sensibles, car en chacun d’eux se trouve un tathagatagarbha, paisiblement dissimulé dans leur corps. C'est pourquoi le Bouddha continue de transmettre l'enseignement, afin d'éliminer les souillures et de faire apparaître en chacun la bouddhéité. »
Le Bouddha a dit encore : « avec mon œil de bouddha, je peux voir qu'il y a dans tous les êtres sensibles un tathagatagarbha confortablement installé. Si j'explique le sutra, c’est pour permettre que chacun comprenne ce qu'est le tathagatagarbha. »
Le Bouddha a donné l'enseignement qui permet de faire comprendre ce qu'est le tathagatagarbha.
Le Bouddha a dit encore : « Ce que j’ai dit, homme saint, est la vérité. J'ai observé que les êtres sensibles ont de très nombreuses souillures, et dans la très longue nuit où ils vivent, ils restent les prisonniers du cycle de la vie et de la mort. Cependant, le tathagatagarbha de ces êtres est aussi pur que le mien : il n’est pas la moindre différence qui les puisse distinguer.
Moi, Bouddha, j'explique le dharma afin que les êtres puissent se laver de leurs souillures et, plus tard, devenir à leur tour des bouddhas. Devenus alors des bouddhas, ils pourront à leur tour aider les êtres sensibles à se libérer. »
Dans le samdhinirmocana-sutra, il est dit, au chapitre premier :
Bhūri-prajñā, dit le Bouddha, cette vijñāna s'appelle ādāna vijñāna
[20]. Cette ādāna vijñāna contient toutes les graines karmiques positives et négatives qui existent, ainsi que le corps des agrégats. Elle est comme une cascade qui tombe sans cesse. Cette vijñāna s'appelle encore ālayavijñāna. Pourquoi ? Parce qu'elle vit dans le corps des êtres sensibles et qu'elle se manifeste à travers lui à chaque instant.
Bhūri-prajñā, dit le Bouddha, cette vijñāna, on la nomme aussi le vrai cœur. Pourquoi ? Parce qu'elle peut produire de façon continue les images, les sons, les parfums, les goûts, les sensations tactiles et les dharma.
Bhūri-prajñā, dit le Bouddha, cette vijñāna est capable de faire naître les six autres vijñāna : la vijñāna de la vue, celle de l'ouïe, celle de l'odorat, celle du goût, celle du toucher et la conscience mentale.
Au chapitre VII du lankavatara-sutra, il est dit :
Bodhisattva Mahamati, dit le Bouddha, l'ālayavijñāna se nomme également tatagathagarbha. Il cohabite avec les sept autres vijñāna qui, elles, n’ont pas la connaissance.
L'ālayavijñāna continue sans cesse de se manifester. C'est elle qui produit les vijñāna. Le tatagathgarbha n’est pas impermanent car il n’interagit pas avec les six objets des vijñāna. En outre, il n'est pas attaché à sa propre existence. C'est pourquoi sa nature est pure.
Le tathagatagarbha n'a pas de couleur, pas de forme. Il est au cœur du corps des agrégats ou dans le fœtus, et non dans des espaces vides.
Au chapitre 110 du Mahāratnakūṭa sūtra :
Le Bouddha parla au bodhisattva Yue-shi : « les fruits karmiques que tu obtiens dépendent de ce que tu as semé. L'ālayavijñāna assure l'écoulement permanent des graines karmiques. Elle maintient ce corps des agrégats sans interrompre jamais l'écoulement des graines. Lorsque survient la mort du corps des agrégats, l'ālayavijñāna l'abandonne, puis transporte ailleurs toutes les graines karmiques.
[…] Lorsque les êtres sensibles meurent, la loi karmique fait disparaître leurs six vijñāna, leurs dix-huit fonctions et leurs douze entrées.
Le corps des agrégats dépend de l'ālayavijñāna, qui va alors faire naître les graines karmiques. L'ālayavijñāna va établir un lien avec ces différentes fonctions
[21] et former une pensée qui permettra d'analyser les différentes fonctions du dharma. Ces deux créations permettront alors de faire apparaître les bons et les mauvais fruits karmiques. L'ālayavijñāna va continuer ensuite indéfiniment de faire apparaître de nouveaux fruits karmiques.
[…]
L'ālayavijñāna fonctionne de cette manière-là également : elle va créer un attachement aux différentes fonctions afin de faire apparaître de nouveaux fruits karmiques. Lorsque ce processus s'achève dans la mort, l'ālayavijñāna va poursuivre son travail dans un bardo. »
Nous avons là des preuves évidentes que les êtres sensibles ont tous un vrai cœur profondément installé au sein de son corps des agrégats et qui le maintient en vie jusqu’à ce que le lien qui attachait les fruits karmiques à ce corps soit rompu. Ainsi est-il écrit :
Ce cœur, ālayavijñāna, n'a ni forme ni image. Il est impossible de le voir avec notre œil.
En revanche, à partir du moment où nous sommes devenus capables de voir la nature de bouddha, nous sommes capables de voir ce cœur avec notre œil physique.
Un certain prince nommé Da-Yao ferma les deux mains et s'adressa au Bouddha :
« Ô Plus Précieux du monde, cette huitième vijñāna, si elle quitte le corps des agrégats, quelle image et quelle forme prend-elle ?
– Très sage Da-Yao, ta question aujourd'hui est très profonde et concerne directement le niveau de bouddha. Seules, les personnes qui ont trouvé l'ālayavijñāna, peuvent te répondre. Nul autre ne le peut.
[…] C'est comme un miroir qui renvoie une image : si tu n'as plus de miroir, l'image elle-même disparaît. La huitième vijñāna se manifeste d'une manière similaire. C'est comme une personne qui est née aveugle : les moments où le jour se lève, où la nuit tombe, où il fait jour ou nuit, l'aveugle ne peut pas les déterminer. La huitième vijñāna fonctionne d'une manière identique.
[…] Il est impossible qu'une personne prouve l'existence de la huitième vijñāna sans être illuminée. C'est comme le fruit amalaka
[22] : il est si petit qu'on ne le voit pas. Cette vijñāna n'est ni dans l'œil, ni dans l'oreille, dans le nez, dans la langue ou dans le corps. Si elle était dans l'œil, ou dans un autre des centres sensoriels, on devrait, au moment de couper l'œil ou d'un des autres sens, pouvoir la trouver.
Le bodhisattva Xian-Hu affirmait qu'il y avait autant de bouddhas qu'il y a de grains de sable dans le Gange. Ils ont tous prouvé que cette vijñāna n'avait pas de forme. J’ai prouvé moi-même que cette vijñāna n'a pas de forme. Cette vijñāna, les gens ordinaires ou les gens stupides
[23] ne parviennent pas à la trouver. J'ai pris des comparaisons pour vous expliquer ces choses. »
Nous pouvons comprendre ici que le fait d’atteindre l’illumination signifie, pour ainsi dire, que nous voyons une chose que nous ne voyons pas, parce que nous n’arrivons pas à la voir. Par contre, il nous est possible de voir la nature de bouddha avec nos propres yeux. Nous pouvons affirmer que le vrai cœur – ālayavijñāna – est partout dans notre corps. Et pourtant, puisqu’il n’a ni image ni forme, nous pouvons affirmer également qu’il n’est ni dans notre corps, ni à l’extérieur de notre corps, qu’il n’est ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ni entre les deux.
Si quelque chose possède une image ou une forme, nous pouvons la situer à l’intérieur ou à l’extérieur d’autre chose, ou encore entre les deux. Mais le vrai cœur n’a pas d’image ou de forme, et même s’il habite dans le corps physique, ce n’est pas en coupant en deux votre corps physique que vous pourrez le voir ! Seuls, les gens illuminés peuvent vraiment comprendre ce que cela veut dire, de voir quelque chose que nous ne voyons pas.
En général, les gens pensent que les maîtres illuminés voient également la nature de bouddha. Mais, il n’y a que les bons guides qui, en conduisant et en aidant les gens à observer leurs pensées avant que n’apparaisse le langage, leur donnent accès à ces connaissances et leur permettent de voir avec leurs propres yeux la nature de bouddha.
L’illumination, en définitive, signifie que nous voyons quelque chose que nous ne voyons pas. L’ālayavijñāna n’a ni forme ni image, mais ses capacités l’autorisent à maintenir en vie ce corps physique tout au long de la réincarnation. C’est pour cela que le Bouddha a également expliqué la chose suivante :
« Cette ālayavijñāna est extraordinaire. Elle n’est pas matérielle. Que votre corps physique soit petit ou grand, elle est capable sans mal de le maintenir en vie. Peu importe que ce soit dans le corps d’un moustique ou dans celui d’un éléphant.
Elle est comme une magnifique flamme. Vous déposez la flamme dans une pièce. Peu importe que la pièce soit vaste ou non : la lumière suffit à dissiper toute l’obscurité. Il en va de même d’ālayavijñāna. Elle peut, selon que le karma de l’être lui a procuré un corps petit ou un corps grand, maintenir ce corps en vie. »
Dans le chapitre 109 de ce même sutra, le Bouddha a dit encore :
« Les êtres sensibles ignorent ce qu’est la huitième vijñāna présente dans leur corps. »
Le Bouddha appela alors Bhadrapala : « Écoute, Bhadrapala, ces vijñāna sont capables de créer les trois mondes et les chemins de la réincarnation
[24], et tous les êtres sensibles ont cette vijñāna, qui est pure et non contaminée.
[…] Cette vijñāna, lorsqu’elle s’incarne dans un ver qui naît dans les excréments, ne perçoit nullement l’odeur nauséabonde des selles. Ce ver va se nourrir de toutes sortes de saletés. Il en va de même quand cette vijñāna s’incarne dans le corps d’un cochon ou d’un chien. »
Le vrai cœur ne se situe donc pas dans l’espace. Le chapitre 120 évoque un pratiquant du nom de Vyāsa
[25]. Vyāsa s’adresse ainsi au Bouddha :
« Ô le plus précieux du monde, je connais les différentes formes de générosité qui existent. Mais pourquoi dis-tu que cette vijñāna est dans mon corps ?
[…] Le Bouddha lui répondit : « Maître, elle est comme un roi dans son royaume. […] Ce roi des vijñāna habite notre corps. Lorsque tous les karmas qu’il pouvait accomplir dans son royaume l’ont été, le roi va l’abandonner et aller vivre ailleurs.
[…] Vyāsa, cette vijñāna est tellement subtile qu’il est impossible de la voir. Elle n’a pas de forme, donc rien sur quoi s’appuyer. En outre, elle ne se sépare jamais du corps physique.
[…] Lorsque les gens du Jambudvīpa du sud
[26] seront décédés, ils observeront leurs futurs parents en train d’accomplir un acte sexuel et feront naître alors le désir de se réincarner parmi eux, car ils auront des affinités avec eux. Chacun d’eux entrera alors dans l’utérus de la mère qui aura été choisie.
[…] Les êtres présents dans la terre céleste, lorsqu’ils meurent, éprouvent une sorte de fièvre, comme un feu qui brûle leur corps tout entier. Mais malgré cette brûlure, la sensation d’être heureux ne les quitte jamais. Puis la brûlure disparaît et ces êtres se réincarnent sur la terre ou ailleurs, et vont renaître dans une matrice. »
Nous pouvons comprendre que l’ālayavijñāna est capable de maintenir en vie ce corps physique, de le quitter, d’entrer dans une matrice, d’y demeurer et de produire une nouvelle naissance. Elle habite parfaitement notre corps. Elle est vacuité, car elle n’a ni forme ni image. Pourtant elle n’existe pas dans l’espace.
Si quelqu’un vous dit que l’ālayavijñāna possède une forme visible, il n’y a pas de doute à avoir : il s’agit seulement d’une forme imaginaire qui est apparue dans sa conscience mentale alors qu’il méditait. S’il soutient que l’ālayavijñāna est dans l’espace, il contredit les paroles du Bouddha Shakyamuni. Nous pouvons dire que ses propos sont ceux d‘un hérétique.
Ce cœur, cette ālayavijñāna est présente dans le corps, sans pourtant qu’il y ait un seul endroit précis qui nous permette de la localiser. Puisque ce cœur n’a ni forme ni image, il n’existe pas un endroit en particulier où il vive. Il n’interagit pas non plus avec les six objets des vijñāna, ce qui explique également pourquoi il n’a nulle part où habiter.
N’étant pas doué de discernement, il n’a nulle part où habiter. Sa nature est si propre qu’il est impossible qu’elle soit salie, si bien encore qu’il n’y a nul endroit où elle puisse habiter. Elle n’est ni bien ni mal, donc n’a aucun endroit où habiter. Ce cœur est détaché des ressentis et de tout ce que, grâce à ses capacités, il est mesure d’obtenir. Il n’a donc, là encore, aucun endroit où il puisse vivre. Il n’est dans aucun état de conscience, quel qu’il soit, si bien qu’il n’est situé dans aucun endroit en particulier.
Il n’habite nulle part, mais où que soit le corps physique ou quoi qu’il fasse – qu’il marche, qu’il soit allongé, qu’il soit assis, – ce cœur reste fonctionnel. Il continue même de faire fonctionner ses capacités dans les états de sommeil sans rêve. Même lorsque quelqu’un est tombé dans le coma, que sa conscience mentale ne lui permet plus d’analyser les choses, ses capacités continuent de tourner. Les gens qui ne sont pas illuminés ne comprennent pas cela. Ceux qui le sont commencent à peine à le comprendre, et ceux qui ont dépassé la troisième étape du bouddhisme chan le comprennent un peu plus.
Cet enseignement est le plus secret, le plus profond qu’ont transmis tous les bouddhas, et c’est lui qui nous aide à atteindre la bouddhéité.
Si quelqu’un, pendant sa méditation, s’attache au fait qu’il n’a pas de pensée, s’il croit que la conscience mentale est le vrai moi, alors il s’attache à la vision erronée propre à l’éternalisme. Puisqu’il n’est pas prêt à écouter, il faut alors éviter de lui expliquer ce qu’est le sens approfondi du tathagatagarbha qui est capable à chaque instant de mettre en mouvement toutes ses fonctions.
Dans le troisième chapitre du Lankavatârasûtra, il est écrit :
Le Bouddha a dit que le tathagatagarbha ne change pas.
Bhagavad
[27] dit encore : « Bodhisattva Mahamati, les hérétiques expliquent qu’il existe quelque chose de constant qui n’a pas besoin, pour exister, de liens karmiques. Il serait partout, immuable et indestructible. Ce que les hérétiques affirment semble assez peu différent de ce que le Bouddha lui-même a affirmé. Quelle est la différence entre l’explication du Bouddha et celle des hérétiques ? »
Le Bouddha adressa ensuite la parole au grand saint Mahamati : « Mahamati, ce que j’affirme au sujet du tathagatagarbha est très différent de ce que défendent les hérétiques. »
Le tathagatagarbha est présent dans le corps des cinq agrégats. Si un pratiquant bouddhiste, voulant du tathagatagarbha, vous dit qu’il n’est pas un endroit dans l’espace où il ne soit pas, qu’il est omniprésent et ne sera jamais détruit, cette personne est un hérétique : elle proclame un enseignement qui n’est pas celui du vrai cœur.
III. Le tathagatagarbha est partout, ce qui ne signifie pas qu’il est dans l’espace
Le corps du dharma du premier bhumi de bodhisattva est appelé ālayavijñāna. Au stade du premier bhumi, le bodhisattva est capable de faire apparaître cent bodhisattva
[28], et chacun d’eux est en mesure à son tour de créer cent personnes. Chaque bodhisattva peut également être présent sur cent différentes terres de bouddha et écouter cent bouddhas en train d’expliquer l’enseignement. Et malgré cela ce bodhisattva n’est pas partout : son ālayavijñāna reste toujours dans ces corps et n’en bouge pas.
Au stade du huitième bhumi, le bodhisattva, dont le tathagatagarbha s’appelle aussi amalavijñāna
[29], est sorti du cycle des réincarnations. Il est capable, à ce niveau, de faire apparaître un million de fois trois mille systèmes solaires
[30]. Il y peut faire apparaître également infiniment de boddhisattva par la seule force de sa volonté
[31] et de ses pouvoirs surnaturels. Il faudrait des milliers d’années pour compter seulement le nombre de corps qu’il a créés.
Et pourtant, en dépit de tout ce qu’il peut créer, il n’est pas omniprésent. Son vrai cœur, amalavijñāna, habite toujours dans un seul corps des agrégats. Il ne s’est jamais déplacé, et tous ces corps qu’il peut ainsi manifester viennent de son seul désir de les manifester.
Pour les bodhisattva qui n’ont pas encore atteint le premier bhumi, une fois qu’ils sont illuminés, on appelle leur tathagatagarbha, ālayavijñāna. Mais ils ne sont pas capables de créer plusieurs corps de bodhisattva. En outre, on ne peut pas dire qu’ils sont omniprésents. Les personnes qui sont capables de voler, d’aller n’importe où, n’ont malgré tout qu’un seul corps.
Ces pouvoirs surnaturels sont semblables, par exemple, à la télépathie. Ce n’est pas là une affaire d’illumination. Ceux qui affirment pouvoir sortir de leur corps pendant la méditation et croient que ce qui en est sorti est leur vrai moi, se trompent. En réalité, cet esprit qui est sorti du corps est la manifestation des sixième et septième vijñāna. Ce n’est pas leur vrai cœur.
Il n’y a qu’au niveau de bouddha que l’on peut dire que le tathagatagarbha peut être conscient
[32] de tout ce qui existe, car il ne contient plus les souillures qui empêchaient autrefois cette connaissance. On l’appelle alors vijñāna sans souillure, ou encore parfois, la vraie ainsité. Cela signifie que ce tathagatatgarbha perçoit tout ce qui existe, à quelque endroit que cela se trouve. Il est capable de se présenter infiniment de fois à tous les individus qui le sollicitent et, chaque fois, d’une manière différente et adaptée aux différentes affinités karmiques qu’il entretient avec chacun de ces individus. Le tathagatagarbha d’un bouddha est capable de se manifester un nombre infini de fois et dans un nombre infini de mondes. On peut dire alors, cette fois, qu’il est omniprésent.
Ceux qui n’ont pas encore atteint la bouddhéité demeurent limités et ne peuvent donc se présenter absolument partout. C’est pourquoi l’on dit que la vraie ainsité seule correspond au niveau de bouddha. Un bouddha est capable de se manifester infiniment de fois, en un nombre infini de lieux. Cependant son vrai tathagatagarbha reste dans le corps d’agrégats qui correspond au dernier bhumi de bodhisattva. Une fois que son corps d’agrégats est entré en nirvāṇa sans reste, son tathagatagarbha va entrer dans la terre céleste d’Akanistha
[33]. Et malgré tout il n’est pas présent dans toutes les galaxies. Il ne faut donc jamais croire que le tathagatagarbha est omniprésent et qu’il remplit tous les espaces vides.
IV. Le tathagatagarbha des êtres sensibles n’est pas partout, mais les êtres sensibles n’ont pas un seul tathagatagarbha pour eux tous
Il est dit au chapitre 30 du Mahāparinirvāṇa sūtra :
Six hérétiques se sont adressé au Bouddha
[34] et chacun d’eux lui a dit : « Gautama, je ne suis pas le corps des agrégats. Le ressenti, la pensée, le processus, les sept vijñāna, rien de tout ceci n’est moi. Moi, je suis partout et je suis aussi vaste que l’espace. »
Le Bouddha répondit : « Si chacun de vous était partout, il lui serait impossible de dire : « au début je ne voyais pas mon vrai moi, mais à présent je le vois. » Si quelque chose n’existe pas, puis existe, cela signifie que cette chose est impermanente.
Comment serait-il possible qu’une chose impermanente soit partout ? Et si elle était partout, le corps de chacun de vous devrait se présenter dans les cinq chemins de la réincarnation
[35]. Si chacun de vous était dans les cinq chemins de la réincarnation tout à la fois, chacune de vos présences dans ces cinq chemins recevrait un karma différent selon le chemin. Dans ce cas, comment pouvez-vous penser que vous êtes exclusivement dans le ciel ?
Si vous êtes dans le ciel, il est impossible que vous soyez partout. Or, vous dites que vous êtes partout. S’agit-il d’une personne ou de plusieurs ? Si vous n’étiez qu’une personne et qu’en même temps vous fussiez partout, il ne pourrait pas exister de père, de fils, de famille, d’ennemi. Vous ne seriez pas seul : vous seriez alors plusieurs entités, et toutes auraient absolument les mêmes organes sensoriels que vous, et une sagesse identique et des fruits karmiques identiques. Pourquoi, alors, tout le monde n’a-t-il pas les mêmes organes sensoriels ?
Si l’on s’en tient à ce que vous dites, comment expliquer que certains ont un bon karma et d’autres un mauvais, que quelques-uns sont intelligents et d’autres stupides ? En réalité, il n’est personne qui soit semblable à une autre. Ce que vous affirmez n’est donc pas juste. »
L’un des six maîtres hérétiques répondit : « Gautama, le vrai moi des êtres sensibles est partout, il n’a pas de limites. Mais il se présente sous deux aspects : un aspect qui a un dharma, et un autre aspect qui n’a pas de dharma. Les êtres sensibles, s’ils travaillent à un bon karma, produiront de bons fruits karmiques. Mais s’ils travaillent à un mauvais karma, ils en tireront de mauvais fruits. A cause de cela, les êtres sensibles doivent avoir chacun un karma différent.
– Homme de bien, je ne suis pas d’accord avec ce que tu viens d’affirmer au sujet de ton dharma et du mien. Si le vrai moi est partout, il doit pouvoir tout sentir puisqu’il est partout. Alors celui qui a produit un bon karma va en recevoir aussi les mauvais fruits, et celui qui réalisé de mauvaises actions va en recevoir des fruits positifs. Regarde autour de toi : les choses ne se produisent pas de cette manière. En conclusion, il est impossible de dire que le vrai moi est partout. »
L’un des maîtres dit alors : « Gautama, c’est comme quelqu’un qui allume une lumière pour éclairer une pièce. Si mille lumières éclairent la pièce, le rayonnement lumineux de chaque flamme s’étendra aux autres, sans jamais pourtant s’y mêler. Le vrai moi des êtres sensibles est ainsi : que les gens agissent bien ou mal, ils ne se mélangeront jamais.
– Homme de bien, répondit le Bouddha, quand tu dis que le vrai moi est semblable à une lumière, je ne suis pas d’accord avec toi. Pourquoi ? Parce que la lumière de la lampe ne vient pas par hasard, elle est née du principe de cause et de conséquence. Si la lumière est plus forte, elle peut éclairer un espace plus étendu. On ne peut donc pas comparer le vrai moi à la lumière. L’idée de la flamme qui naît de la lampe et va éclairer l’espace ne correspond pas à la réalité : le vrai moi ne sort jamais du corps des agrégats pour s’étendre au-delà de ses frontières. La lumière et l’obscurité sont toujours ensemble. Pourquoi une lumière faible ne peut-elle pas éclairer entièrement la pièce obscure où elle a été déposée ? Il faut en vérité beaucoup de lumière pour obtenir une si puissante luminosité. Si la première lumière est parvenue à tout éclairer, les autres lumières ne sont plus nécessaires. Mais puisqu’on a besoin des autres lumières ensuite, cela montre que la lumière et l’obscurité coexistent.
– Gautama, s’il n’existe pas de vrai moi, qui est alors à l’origine du bien et du mal ?
– Que signifie la « permanence » ? répondit le Bouddha. Si le corps des agrégats est permanent, pourquoi va-t-il alors parfois mal réagir, et d’autres fois bien réagir ? Considérant cela, on ne peut pas dire qu’il est permanent.
Il est exclus également d’affirmer que le corps des agrégats est illimité. Si le corps des agrégats était le vrai moi, pourquoi les gens continuent-ils d’apprendre ou de mal réagir aux événements ? Ceci n’est pas logique. Si le corps des agrégats était le vrai moi, pourquoi les sages vont-ils douter de la véracité de cette assertion : « il n’existe pas de moi chez les êtres sensibles » ?
A partir de là, les hérétiques ne peuvent pas, de toute évidence, attester de l’existence d’un vrai moi dans le corps des agrégats, puisque le corps des agrégats est soumis à la naissance et à la mort. Le corps des agrégats ne peut donc pas être le vrai moi. Ce que j’affirme, c’est que le vrai moi et le bouddha ne font qu’un. Et pourquoi affirmé-je cela ? Parce que ce vrai moi est capable de faire tout apparaître, dès lors qu’il existe un lien karmique, et de se manifester partout. Ceci est vrai, il n’en faut pas douter.
En vérité, le vrai moi ne crée qu’en fonction des sollicitations des êtres sensibles. Il ne crée pas de sa propre impulsion et il ne reçoit rien. A cause de cela on dit qu’il est permanent. Il n’est soumis ni à la naissance ni à la destruction. C’est pour cela qu’on dit qu’il est d’une joie extrême. Il n’y a en lui aucune saleté, si bien qu’on le dit propre. Il ne suit aucune direction, ne vit pas dans un espace, n’a pas de forme et pas d’image, tant et si bien que l’on dit que son aspect est vide.
Ce vrai moi dont atteste le Bouddha est bel et bien permanent, joyeux, parfaitement propre, et il est le vrai moi. Il existe réellement, bien qu’il ne possède ni forme ni image.
– Ce que tu expliques, que la vraie nature de bouddha est permanente, joyeuse, parfaitement propre et qu’elle n’a ni forme ni image, répondirent les hérétiques, nous l’avons vraiment compris : nous avons vraiment compris ce que voulait signifier le Bouddha Gautama : son enseignement n’est pas du tout dépourvu de sens, et désormais, nous allons tous le soutenir. »
A partir de ce jour, un nombre incalculable d’hérétiques devinrent des disciples du Bouddha.
Nous pouvons savoir à présent qu’au niveau de la bouddhéité, le vrai tathagatagarbha est capable de se manifester partout, de présenter infiniment de corps physiques et qu’il n’a pas de limites, mais que cela ne signifie pas pour autant qu’il emplit tout l’univers. Ce passage enseigne aux pratiquants bouddhistes à ne pas valider les paroles des six maîtres hérétiques, lorsqu’ils affirment que le tathagatagarbha est omniprésent dans tout l’univers.
Au premier chapitre du Cheng weishi lun
[36] (Vijnaptimatratasiddhi-sastra en sanskrit), il est dit :
Il existe trois types de visions erronées.
Le premier type affirme que l’essence du vrai moi est constante, omniprésente et qu’elle remplit l’espace. Elle serait capable également de produire des karmas à n’importe quel endroit, et pourrait ressentir la joie comme la souffrance.
Le deuxième type de vision erronée soutient que l’essence du vrai moi est constante et infinie. Elle serait capable d’être grande, petite, minuscule.
Le troisième type de vision erronée affirme que l’essence du vrai moi est constante et minuscule. Elle serait située dans notre corps et manifesterait des karmas.
Il existe ainsi trois représentations différentes du vrai moi. La première n’est pas cohérente, car elle signifie que le moi est partout, qu’il remplit l’espace et qu’il est constant. Dans ce cas il ne peut pas être affecté par les sensations, les souffrances et les joies, puisque, si jamais il ressent l’une de ces choses, cela sous-entend qu’il n’est plus constant. S’il est constant, il faut nécessairement qu’il ne ressente ni sensations ni émotions. De surcroît, si l’on dit qu’il est omniprésent, c’est qu’il ne peut, lui-même, plus bouger.
Ce moi qui est omniprésent appartient-il à tous les êtres sensibles, ou bien en existe-t-il pour chacun d’eux ? S’il n’y en a qu’un seul pour tous, tout le monde doit recevoir et semer les mêmes fruits karmiques, et atteindre en même temps la libération. Mais les choses sont différentes, et ce discours présente un problème considérable, puisque c’est un fait que chacun reçoit des fruits karmiques différents. Si quelqu’un affirme que chacun a un vrai moi omniprésent, cela signifie que nous sommes amalgamés les uns aux autres : ainsi, si tel individu reçoit un fruit karmique, tous les autres en jouiront également et il n’y a donc pas de différence entre tel individu et tel autre.
Lorsque vous affirmez que chaque fruit karmique est le fait d’un seul individu, cela contredit ce que vous affirmiez précédemment. Votre fruit karmique, si l’on suit votre raisonnement, n’est pas le vôtre. A partir de là, il nous est possible de voir qu’il en va de même concernant le vrai moi : votre vrai moi n’est pas le mien. Il n’est donc pas logique de penser que, si une personne est libérée, toutes le sont, que tel vrai moi et tel autre sont une seule et même chose.
En outre, ceux qui affirment que le vrai moi est omniprésent, s’ils disent aussi qu’il est constant, ils considèrent qu’il n’a pas la capacité d’opérer le moindre changement. S’il ne génère aucun changement, ce qui est aujourd’hui doit être semblable à ce qui était hier, et demain sera comme hier. Ainsi, il faut qu’une chose existe ou qu’elle n’existe pas, puisque la même chose reste inchangée avant et après.
Mais si, à présent, je réagis à quelque chose, il va s’opérer un changement entre le moment où je réagis et le moment où ma réaction portera ses fruits. Ce changement montre donc que ce qui a été affirmé tout à l’heure est incohérent. Quiconque affirme que le vrai moi est constant s’oppose à ce que nous montre la réalité.
Lorsque vous réagissez à un karma, vous n’êtes jamais séparés un instant de votre vrai moi, ce qui signifie que votre vrai moi est constant. Mais, si le vrai moi n’est jamais séparé de toute réaction à un karma, cela signifie également qu’il n’est pas constant. Chaque être sensible dispose d’une vijñāna qui maintient ensemble toutes les graines karmiques, lesquelles peuvent être la cause ou la conséquence de certaines autres et vont interagir. Cela crée des causes et des conséquences nouvelles, ainsi que des souvenirs de différentes sortes qui sont enregistrés dans ces vijñāna.
La question que vous venez de poser est illogique et il a été démontré que vous faites erreur. Ce que vous avez affirmez ne correspond pas à la réalité et à ce que j’affirme. S’il n’y a pas un vrai moi, qui est-ce qui crée le karma, et qui peut recevoir les fruits du karma ? […] Si vous vous attachez à l’idée imaginaire que le vrai moi est semblable à l’espace, alors comment est-il possible que vous manifestiez successivement des karmas et produisiez des fruits karmiques ? Comprenez bien que, pour qu’il y ait ces changements, le vrai moi doit être impermanent.
En réalité, les vijñāna de chaque être sensible vont interagir et produire alors différentes causes karmiques et leurs conséquences. Elles vont donc fonctionner de façon continue. Elles vont produire alors des fruits karmiques et les recevoir ensuite. Cela seul est logique et cohérent.
Il faut que l’on comprenne que le vrai cœur (alayavijñāna, vipakavijñāna, la vrai ainsité) ne remplit ni un espace vide ni la totalité de l’univers, et que les bouddhas et les êtres sensibles ne constituent pas une seule et même ainsité.
Dans son commentaire du Yogācārabhūmi-śāstra, le boddhisattva Maitreya a condamné les visions erronées des hérétiques. Si une personne, à travers la méditation, a accédé à des pouvoirs surnaturels, mais qu’elle n’a jamais trouvé l’alayavijñāna, elle n’est pas illuminée. Elle ignore que ses pouvoirs surnaturels viennent eux-mêmes de l’alayavijñāna. En poussant sa conscience mentale à la réflexion, elle va imaginer qu’il existe dans l’espace une énergie colossale capable de créer tous les dharma. Elle va imaginer que, dans cet espace vide, cette énergie supérieure est la vraie ainsité. C’est là une vision erronée. Elle ignorait qu’il n’existe dans l’espace aucune énergie de ce genre : c’est une illusion issue de l’École de Vaisesika.
Dans le Yogācārabhūmi-śāstra, le Vijnaptimatratasiddhi-sastra et le Lankavatara-sutra, beaucoup de critiques ont été formulées contre ces visions erronées. Parmi les pratiquants bouddhistes qui obtiennent des pouvoirs surnaturels, la plupart vont adhérer à ces visions erronées diffusées par l’École de Vaisesika et cultiver un immense orgueil, pensant réellement qu’ils sont illuminés. Ils vont porter atteinte aux enseignements des vrais maîtres illuminés, les accusant d’être des visions erronées.
Et bien que, dans cette existence, ils aient des pouvoirs surnaturels, au moment de mourir, ils n’échapperont pas aux fruits karmiques qui les mèneront sur les trois mauvais chemins de la réincarnation. Ces visions erronées de l’École de Vaisesika sont illogiques. Ils adoptent tous une vision erronée, ceux qui croient que l’espace est constant et qu’il s’agit de la vraie ainsité remplissant tout entier cet espace, ou qui se figurent que tous les êtres sensibles ont en commun une même vraie ainsité et que, à partir de cette ainsité, il est loisible de créer plusieurs petites ainsités. Ceux qui pensent qu’il y a une énergie suprême dans l’espace, se trompent également. Nous pouvons prouver qu’ils n’ont pas atteint l’illumination.
Les attachements à l’idée d’un vrai moi présent dans l’espace ou à l’idée d’une énergie supérieure présente dans l’espace, sous-entendent que tous les êtres sensibles sont nés d’un unique vrai moi, et qu’ils en sont sortis. Rien de tout ceci n’est très logique, car si nous avions tous le même vrai moi, il ne devrait y avoir qu’une seule espèce d’êtres humains, ou une sorte d’oiseaux ou de dieux célestes ; les trois mondes, les six chemins de réincarnations, les quatre façons de naître et les vingt-cinq différences n’existeraient pas.
S’il n’existait qu’une seule vraie ainsité, elle pourrait créer les différents êtres sensibles. On pourrait alors se dire que les caractéristiques de ces êtres sont identiques. En ce cas, un morceau de métal quelconque devrait pouvoir donner de l’or, de l’argent, du cuivre, de l’aluminium, de l’herbe, du bois, des fleurs, des fruits…, puisqu’ils viendraient de la même ainsité ; et de la même façon un pied de vigne pourrait créer des melons, des pastèques, des aubergines, des courges, des patates douces, du riz, du blé et ainsi de suite.
On peut déduire de cela que les idées des six maîtres hérétiques et des adeptes de l’École de Vaisesika, selon lesquelles le vrai moi remplirait un espace vide et l’univers tout entier, ne sont pas véridiques. Ce sont des idées dépourvues de logique. Leurs discours renferment beaucoup d’erreurs et les pratiquants bouddhistes, qu’ils évoluent au sein de leur famille ou que ce soient des bonzes, ne doivent pas s’égarer parmi ces visions erronées.
Nous avons cité tout à l’heure le Mahāparinirvāṇa sūtra et le Vijnaptimatratasiddhi-sastra, et nous en avons extrait quelques passages afin d’y identifier certaines erreurs. Mais, si nous voulions vraiment entrer dans les détails, nous n’aurions pas assez de trois jours et trois nuits pour en parler.
Dans le Lankavatara-sutra et d’autres sutras qui évoquent la question de la sagesse, le Bouddha a clairement expliqué qu’il existe, d’une part, une huitième vijñāna qui fournit les graines karmiques des différentes fonctions, d’autre part, les sept autres vijñāna qui interagissent sans cesse et créent de nouvelles idées, puis de nouveaux karmas qui, une fois manifestés, vont influer sur les sept vijñāna.
On peut savoir ainsi que chaque graine karmique d’un individu n’appartient qu’à lui car elle s’est développée d’une manière entièrement individuelle. Il est possible alors que de nouveaux fruits karmiques naissent des précédents. Cette huitième vijñāna va former des habitudes diverses et produire des fonctions variées. Ces différentes graines karmiques peuvent manifester alors, dans différents contextes, dans différentes conditions, de nouveaux fruits karmiques qui, à leur tour encore, formeront de nouvelles habitudes et relations karmiques. Cela montre que le tathagatagarbha n’est pas dans l’espace et qu’il ne remplit pas l’univers tout entier.
Si je voulais écrire un livre contenant des explications beaucoup plus claires, je pense qu’il ferait plus de sept cents pages. Mais je n’ai pas le temps de faire ce genre de choses : je suis déjà occupé à de nombreuses activités. Et puis je songeais à prendre ma retraite, à me concentrer sur mes propres affaires, à pratiquer les différents samadhi. Je n’ai donc pas envie d’écrire un livre. Si vous, pratiquants bouddhistes, vous parvenez à atteindre l’illumination et que vous accédiez à la connaissance des vijñāna, vous pourrez observer par vous-mêmes que ce que je dis est vrai et que l’idée d’un tathagatagarbha présent dans l’espace et remplissant l’univers est une erreur, une hérésie. Les pratiquants bouddhistes doivent très vite abandonner ce genre de visions et éviter de rejoindre les hérétiques qui agissent au sein même du bouddhisme.
Le maître Xu da-Zhi a proposé d’autres explications concernant l’idée que le tathagatagarbha serait omniprésent. Il a affirmé que tous les êtres sensibles sont omniprésents à travers toutes les dimensions. A ses yeux, il n’existe pas un monde dépourvu d’êtres sensibles, parce que les tathagatagarbha des êtres sensibles sont cela même qui constitue ces mondes. De là l’idée que les tathagatagarbha sont omniprésents.
Je pense que ce point de vue est vrai. Regardez ce qui se passe sur Terre. Il y vit des hommes, des insectes, des animaux, des oiseaux, des animaux aquatiques, des micro-organismes. En voyant cette profusion, on sait que les tathagatagarbha sont omniprésents. On peut donc affirmer que la vraie ainsité des êtres sensibles est bel et bien omniprésente. La Lune, le Soleil ou Mercure présentent des caractéristiques identiques. Tous ces astres sont peuplés également d’êtres sensibles, mais qui ne possèdent pas de corps physiques, n’emploient pas les mêmes éléments pour se constituer un corps physique. Et pourtant ils sont, dans la somme qu’ils représentent, omniprésents. Les choses fonctionnent ainsi pour notre système solaire, pour notre galaxie, pour les mondes propres à la Terre de bouddha. Et puisque les choses fonctionnent ainsi pour ces mondes de la Terre de bouddha, il n’y a pas à douter qu’elles fonctionnent aussi pour une infinité de mondes. Nous pouvons donc dire que les tathagatagarbha des êtres sensibles sont, à eux tous, omniprésents. Voici le passage du Sandhinirmocana Sūtra qui évoque cela :
Subuti
[37] s’adressa au Bouddha : « Ô le plus précieux du monde, tout ce que j’ai pu observer correspond à ce que les grands maîtres ont pu constater eux-mêmes de façon empirique au sujet des différentes facettes du dharma. Je me souviens de ce que j’ai appris par l’expérience. Cependant, tous ces maîtres étaient orgueilleux et n’hésitaient pas à s’exposer ostensiblement dès lors qu’il s’agissait de montrer aux autres qu’ils en savaient plus long qu’eux. L’orgueil était au centre de leur attitude.
Tous les maîtres ont pu expliquer, à partir de ce qu’ils avaient vécu, comment ils avaient eu accès à ce dharma. Mais personne n’a su expliquer pourquoi les vraies ainsités sont omniprésentes.
Ô le plus précieux du monde, vous avez dit que les vraies ainsités sont omniprésentes : c’est là un dharma si subtil et si profond qu’il est difficile de le comprendre. Votre parole est tellement précieuse et rare, tant et si bien que très peu de personnes sont en mesure de l’expliquer.
Ô le plus précieux du monde, regardez tous ces moines qui pratiquent votre enseignement avec persévérance. Ils n’arrivent pas encore à comprendre que les vraies ainsités sont omniprésentes. Imaginez alors tous ces hérétiques : comment, hors de l’enseignement juste, pourraient-ils comprendre, tant la vraie ainsité que le sens de votre parole ?
– Subuti, ce que tu dis est vrai. Ce dharma est le plus subtil, le plus précieux, le plus profond et le plus rare qui soit. Ce dharma qui est omniprésent, je veux d’abord en exposer les fondements, puis l’enseigner en commençant par ce qui est le plus facile, pour aller progressivement vers le plus difficile. Ainsi, plus tard, les disciples pourront à leur tour enseigner ce dharma. Et pourquoi, Subuti ? Le corps constitué des cinq agrégats, entre la naissance et la mort, n’est ni pur ni permanent. Pour autant, dans ce corps il existe un état qui est propre : cela est vrai.
Subuti, les douze entrées, les douze nidanas, les quatre manières de se nourrir, les quatre nobles vérités, les dix-huit fonctions, les quatre types de pensées, les quatre manières de persévérer dans la voie, les quatre dhyanas qui font apparaître les quatre pouvoirs surnaturels, les quatre façons de naître, les cinq forces nées des organes sensoriels, les sept critères de l’illumination et le noble chemin octuple ; toutes ces choses au sein desquelles existe un état pur, viennent du tathagatagarbha – qui lui-même est indifférencié – car tout apparaît à partir de lui.
Parmi toutes ces choses il existe un état pur, parce que cet état est toujours le même et qu’il est indifférencié. Et pour cause : elles viennent tous du tathagatagarbha.
Subuti, à partir de ce que je viens de dire, tu peux savoir que les vraies ainsités sont omniprésentes. L’univers tout entier n’est que la manifestation des tathagatagarbha.
La nature des tathagatagarbha de tous les corps physiques des êtres sensibles est pure. Elle est en dehors de la connaissance propre à la conscience mentale et elle n’est pas douée de discernement. C’est pourquoi l’on dit que les cinq agrégats sont tous indifférenciés, car ce sont tous des manifestations du tathagatagarbha. C’est pourquoi l’on dit aussi que le tathagatagarbha est partout (ce qui ne signifie pas pour autant que les tathagatagarbha emplissent tout l’univers).
Dans un sutra, le bodhisattva Vajragarbha dit que le tathagatagarbha permet de manifester tous les êtres sensibles, que sa nature est pure, propre, constante et vraie, et qu’il n’a jamais augmenté ni diminué. Pourtant ceux qui n’ont pas la sagesse imaginent diverses choses à ce sujet et s’attachent aux fruits de leurs illusions.
V. Que les pratiquants bouddhistes s’éloignent de la vision erronée de ceux qui pensent que l’espace est la vraie ainsité
Souvent les grands maîtres ont dit qu’ils toléraient les gens dont la vision erronée sur le vrai moi était aussi vaste que la montagne de Sumeru, mais qu’ils ne toléraient pas les visions nihilistes de ceux qui prétendaient que tout est vide, ces visions étant aussi petites qu’un grain de moutarde.
Dans un certain sutra, il est dit que ceux dont la vision erronée sur le vrai moi est aussi vaste que la montagne de Sumeru ont beaucoup de karmas négatifs. Pourtant, si quelqu’un est orgueilleux et soutient que tout finit par être vide, il possède un bagage karmique beaucoup plus négatif que ceux qui se trompent sur la nature du vrai moi.
Dans le premier chapitre du Wu shang yi jing, le Bouddha a dit :
« Il existe deux sortes de personnes. Les hérétiques, tout d’abord. Ensuite, il y a certaines personnes qui affirment qu’elles croient au bouddhisme et que leurs idées sont justes. Elles s’entêtent dans leur vision du faux moi. Mais en vérité, elles n’aiment pas le vrai enseignement du Bouddha. Ces personnes sont considérées comme des hérétiques.
Il y a encore d’autres personnes très prétentieuses, qui se croient meilleures que les autres. Ces gens pensent que dans le chemin du milieu, tout est vide. De cette idée de vide ils déduisent le concept de dualité. Ils affirment pouvoir observer le vrai vide, et que celui qui peut ainsi observer le vide est un véritable illuminé. C’est sur ce chemin que l’on pourrait atteindre la plus grande sagesse. Telle est, pour eux, la porte qui ouvre le chemin de la libération. Tel est le vrai enseignement du Bouddha.
A ceux qui disaient cela, le Bouddha répondit : « Si quelqu’un pense que tous les dharma sont vides, qu’il soutient ce type de vision, il m’est impossible de le soigner. Ananda, si des gens soutiennent certaines visions erronées et compréhensions erronées sur le vrai moi, et que ces visions soient aussi grandes que la montagne de Sumeru, cela ne m’étonne pas et je n’ai aucune intention d’y porter une critique. Mais, si une personne prétentieuse tient le discours selon lequel tous les dharma sont vides, quand bien même cette vision serait aussi petite que le sixième de l’épaisseur d’un poil, je ne la cautionnerais pas. »
Mais pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Ceux qui pensent que tout est vide vont croire que, lorsque tout disparaît, tout retourne au vide et que cet espace vide est la vraie ainsité, et qu’il n’y a pas de principe de cause à effet. Ils vont concevoir alors une force supérieure dans l’espace et la désigner comme la vraie ainsité.
Si quelqu’un reçoit ensuite de cet espace vide un don particulier et pense qu’un esprit lui parle, à la manière d’un chaman, il va s’imaginer que la conscience mentale dans son corps, cette conscience qui a accès à ce pouvoir surnaturel, est la véritable ainsité. Il va penser qu’il a rejoint le Bouddha et atteint la bouddhéité. Il va croire qu’il n’y a qu’une seule et définitive illumination et que, par conséquent, la pratique devient inutile une fois l’illumination atteinte. Dans le mahā-vaipulya-buddhâvataṃsaka-sūtra pourtant, le Bouddha a bien précisé qu’il existe cinquante-deux étapes dans la pratique.
Ces gens ne savaient pas que ce corps du dharma, ce tathagatagarbha est aussi l’ālayavijñāna et qu’il réside dans ce corps. Ils n’ont pas atteint l’illumination. Ils en sont encore aux étapes préparatoires et cependant, ils s’autoproclament des bouddhas : ils sont pleins de vanité.
Si quelqu’un explique à ces gens que l’illumination consiste à être capable de prouver l’existence du tathagatagarbha, que chaque être sensible possède son propre ālayavijñāna et que celle-ci ne vient pas de l’espace, ils vont prétendre qu’il n’a rien compris à ce qu’est l’illumination.
Si quelqu’un leur raconte que le tathagatagarbha est dans le corps des êtres sensibles et non dans l’espace, ils vont affirmer que cet enseignement n’est pas juste.
Ces personnes croient avoir accédé à des pouvoirs surnaturels et à l’illumination. Elles se montrent très orgueilleuses au contact d’autrui et portent des accusations calomnieuses au sujet du vrai enseignement. En agissant de la sorte, elles se promettent à un enfer dont elles auront beaucoup de peine à sortir. Les pratiquants bouddhistes doivent donc être très vigilants et éviter de sombrer à leur tour dans ce genre d’erreurs.
Tout ce que je viens de dire permet d’expliquer les paroles du Bouddha contenues dans le sutra, mais il existe toujours, malgré tout, des pratiquants bouddhistes qui pensent que tous les dharma sont vides et qui portent atteinte au vrai enseignement. Et nous pouvons redonner maintes fois le vrai sens du sutra, ces gens s’obstinent à croire que ce que nous affirmons est faux. Ils continuent, en secret ou non, à condamner le véritable enseignement. J’ai vraiment de la peine pour eux.
Je vais citer à présent un passage du chapitre 2 du Sandhinirmocana Sūtra. Dans ce sutra le Bouddha a expliqué son précieux enseignement afin de rappeler aux gens de ne pas chercher en dehors du vrai cœur ce qui est le sens authentique du bouddhisme.
Ceux qui ne comprennent pas le bouddhisme vont prendre pour vrai le faux enseignement et pour la compréhension de la première cause ce qui ne l’est pas. Ils vont affirmer devant tout le monde que la signification de la première cause telle qu’elle apparaît dans les sutras ne vient pas du Bouddha, mais du diable.
Ces personnes, parce qu’elles ont une vision erronée, vont mésinterpréter le véritable enseignement et y porter atteinte, et rien de ce qu’elles diront ne correspondra pas à ce qu’a dit le Bouddha. Le dharma du Bouddha sera entièrement discrédité. Ces gens méprisent le vrai dharma et les sutra bouddhistes.
Si, dans le vrai enseignement, des visions erronées devaient être ajoutées, cela reviendrait à détruire les sutra ou à leur porter préjudice. Cela rendrait inaccessible une compréhension cohérente du bouddhisme, et la pratique elle-même en serait irréalisable.
Les personnes qui ont en horreur les authentiques pratiquants bouddhistes ont accumulé déjà un nombre astronomique de mauvais karmas, et le fait de critiquer le véritable enseignement va les conduire à accroître la quantité de leurs karmas négatifs, à tel point que leur nombre en sera finalement immesurable. L’enfer est leur destinée, sans que nous puissions dire combien d temps elles y demeureront. Il se peut que cela leur n’arrive pas avant cent milliards de millions d’asamkheyaasamkhya.
Vous tous qui êtes pratiquants bouddhistes, je vous recommande sincèrement d’éviter l’idée que le vrai moi serait présent dans l’espace et remplirait tout l’univers. Evitez également cette vision erronée qui consiste à dire que ce vide ne contient rien et qu’il est le tathagatagarbha ; ou de croire qu’il existerait dans ce vide une énergie surnaturelle et qu’il s’agirait là de la vraie ainsité.
Ne critiquez pas l’enseignement du Bouddha, quand il dit que les tathagatagarbha sont des corps physiques des êtres sensibles. Etudiez plutôt le chan, car cela aura d’heureuses conséquences pour vous. Alors que, si vous adhérez aux visions erronées, vous attirerez à vous des conséquences négatives qui iront jusqu’à faire un séjour en enfer duquel il est infiniment difficile de sortir. Semer une bonne graine et récolter de mauvais fruits karmiques, n’est-ce pas stupide ?
VI. Comment distinguer le chan de la méditation ?
Ces derniers temps, un certain nombre de personnes se sont intéressé à l’enseignement du maître Yue Xi et à sa méthode pour enseigner le bouddhisme chan. Cette méthode consiste à regarder en soi-même l’obscurité obtenue en fermant les yeux, jusqu’à entendre, à un certain moment, un bruit fort qui nous indique de quitter l’obscurité et, par là même, de rompre l’ignorance et de voir la nature de bouddha.
Ce maître ne sait pas comment rompre l’ignorance. Et pour voir la nature de bouddha, il faut utiliser la méthode zen, laquelle est, en fait, la sagesse de prajñā. Ce n’est pas la pratique de la concentration ni la méditation. Cette méditation consistant à observer l’obscurité en soi, il ne faut pas la pratiquer, car ce que vous êtes capable de voir et ce que voyez est toujours lié à la conscience mentale.
Avec ce type de méditation, de quelque manière que vous la pratiquiez et quelle que soit la profondeur de votre pratique, vous ne vous arrachez jamais de la conscience mentale. Même en atteignant les quatre dhyana et les huit samādhi, vous ne vous élevez jamais au-delà de la conscience mentale et ne savez même pas ce qu’est manas. Or, si vous ne connaissez pas manas, comment pouvez-vous connaître le vrai cœur, l’ālayavijñāna ?
Pour ceux qui n’ont pas la capacité de percevoir la pensée avant qu’elle ne devienne parole, ils peuvent très bien utiliser cette méthode d’observation de l’obscurité en soi, mais ce n’est pas ainsi qu’ils verront la nature de bouddha. Ils se figureront alors, comme l’a fait le maître Yue Xi, que, après leur fausse illumination
[38], la conscience mentale est la nature de bouddha. Mais, cette nature de bouddha, selon le maître Yue Xi, l’œil ne serait pas en mesure de la voir. Ce qui revient donc à dire que l’on peut voir quelque chose qu’on ne peut jamais voir !
Quiconque affirme cela calomnie le sens véritable de l’enseignement du Bouddha et, en particulier, le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra. En effet, l’illumination consiste à prouver l’existence de quelque chose qui est, par nature, invisible. Par contre, il est possible de voir la nature de bouddha avec ses yeux de chair. Le Bouddha, dans le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra, l’avait clairement expliqué.
Il est exclus, avec la méthode du maître Yue Xi, d’accéder à l’illumination et de voir la nature de bouddha. L’école de Caodong zong
[39]a adopté la méthode dite mo zhao, qui a finalement disparu très vite. Cette disparition n’est d’ailleurs pas survenue par hasard : c’est une méthode viable pour tous ceux qui, après avoir été illuminés, souhaitent pratiquer la méditation afin d’accéder à certains samādhi. Elle peut, en outre, aider beaucoup de pratiquants.
En revanche, elle devient extrêmement dangereuse dès lors que l’on souhaite l’utiliser pour atteindre l’illumination, car elle ouvre à différents états de méditations, très souvent indésirables, et à de nombreuses illusions. Lorsque cette méthode est utilisée pour atteindre l’illumination, il arrive, dans huit à neuf cas sur dix, que les pratiquants s’égarent dans des illusions ou des images indésirables. Et s’ils s’y attachent et qu’aucun maître authentique ne les aide, ils risquent de sombrer dans la folie et de gâcher leur existence. Il leur faut donc faire montre de la plus grande prudence.
Si la personne, une fois illuminée, s’exerce à cette méthode, elle ne prend aucun risque puisque, ayant atteint l’illumination, elle est en mesure de ne s’attacher à rien de ce qui peut lui arriver durant sa méditation (l’illumination elle-même lui ayant fait comprendre que son vrai moi contient tout et que, donc, il n’y a rien à quoi elle puisse s’attacher).
Une personne illuminée qui évolue dans les différents états de cette méditation sait ce qui importe et ce qui est superflu. Si son cœur n’est pas attaché à la forme, aux odeurs, aux goûts, au toucher, comment pourrait-il former des choses désirables ou indésirables ?
Par contre, les gens qui ne sont pas illuminés, s’ils veulent l’être, ont tout intérêt à éviter cette méthode : cela les conduirait à des états et des visions indésirables.
Ceux qui veulent en savoir plus à ce sujet, qu’ils lisent le Shurangama Sutra : le Bouddha y décrit cinquante visions non souhaitables dans la pratique de cette méthode. En tant que pratiquants, nous devons faire très attention et éviter de tomber dans ce traquenard.
Si quelqu’un, en méditant, regarde au-dedans de lui-même avec son œil intérieur, puis qu’il imagine que sa conscience mentale ne cesse de grandir au point de remplir l’univers ; qu’enfin il pense que c’est cela d’être illuminé, il ne fait en vérité qu’entretenir une image mentale, une illusion. Ce n’est pas la véritable illumination, il n’a pas trouvé la vraie nature de bouddha.
Lorsque j’ai commencé à pratiquer le bouddhisme chan, personne ne m’avait enseigné cette méthode, pourtant je la connaissais déjà. Je pensais alors être illuminé. Mais après avoir étudié les vrais sutra qui contiennent le sens de la première cause, j’ai compris que l’état de méditation sur lequel je travaillais n’était qu’un état de concentration, mais qu’il n’avait rien de commun avec la rencontre avec le vrai moi.
En fait, la pratique du bouddhisme chan n’a qu’un objectif : trouver le vrai cœur, qui n’est pas séparé des différents états de méditation, quels qu’ils soient, mais qui n’est pas pour autant ces états. Les personnes qui sont réellement illuminées vont prendre refuge dans le vrai moi, toutefois, ce vrai moi n’est pas quelque chose qu’elles peuvent obtenir.
Aux yeux de tous ceux qui n’ont pas atteint la bouddhéité, le vrai moi n’est pas celui qui possède toutes les fonctions, ni celui qui n’en possède aucune.
En fait, le vrai moi est, en soi-même, au-delà de la capacité de produire diverses actions. Il n’est pas non plus quelque chose que l’on peut posséder. Il est au-delà du discernement et de la conscience mentale.
Celui qui prétend ressentir la présence de son vrai moi dans l’univers tout entier est simplement dans un état de méditation qu’il a obtenu au moyen de son imagination. Dans cet état, il est encore capable de discernement et d’accéder à certaines connaissances. Ce pratiquant est donc bel et bien dans un état conditionné par ces facultés qu’il a préservées et par le fait qu’il est en « possession » de cet état de méditation.
Car s’il veut maintenir cet état de méditation, il faut qu’il reste concentré. Or, pour cela, il lui faut être attaché aux fonctions associées à cette méditation. En outre, pour pouvoir se maintenir dans cet état de méditation, il faut au préalable qu’il l’ait obtenu. Alors seulement, il est capable de déterminer quand il a obtenu cet état, et quand il l’a quitté. En sortant de son état méditatif, on peut dire qu’il l’a perdu, ce qui nous indique bien qu’il n’est finalement pas au-delà de la conscience mentale. Il nous est donc possible de déduire que cet état de méditation n’est pas le vrai cœur, l’alayavijñāna. C’est un « faux cœur », pour ainsi dire.
Il est dit dans le Mahāvaipulya mahāsamghāta sūtra :
Tous les dharma n’ont pas les facultés d’introspection ou d’observation. Ceux qui n’ont pas ces facultés sont les propriétés du vrai cœur.
Dans le Vimalakīrtinirdeśa sūtra il est dit également :
Ce dharma (tathagatagarbha) est au-delà de la conscience mentale.
Et on y trouve encore ceci :
Cela qui n’observe pas, c’est la vraie bodhi
[40].
La personne qui, méditant en position assise, imagine que son vrai moi remplit l’univers tout entier, est toujours prisonnière de sa conscience mentale. Ce n’est là encore qu’une forme de ressenti, et ce ressenti n’est pas le vrai moi. Le vrai moi est au-delà de la capacité même de ressentir, de la faculté d’introspection et de la faculté d’analyser.
Si quelqu’un, durant sa méditation, est capable de se voir lui-même en train de méditer et de ressentir en lui-même cet état de méditation, il a conscience d’être conscient de lui-même et va penser que le vrai cœur consiste dans cette conscience capable d’observer le pratiquant en état de méditation. En vérité, il s’agit là d’une méconnaissance de la nature de la sixième vijñāna.
Si cette personne s’attache trop à cet état et qu’elle ne souhaite pas l’abandonner ; si de surcroît elle cherche à obtenir des pouvoirs surnaturels ou un contact médiumnique avec le monde des esprits, elle pourra obtenir ce contact, mais avec de mauvais esprits. De surcroît, elle sera, plus tard, atteinte de schizophrénie.
Dans le chapitre X du Mahasatya-nirgrantha sutra, il est écrit la chose suivante :
Le Bouddha dit alors : « Vénérable Kasyapa, quand nous parlions de bodhi, nous en parlions comme d’un dharma inconditionné. Bodhi est au-delà de tous les états de méditation quantifiables. Le cœur de bodhi n’est pas une représentation, une figure : il est invisible.
Cela qui est capable de voir et de ressentir n’est pas distinct de tout ce qui peut être quantifié et de tout ce qui est visible. On ne peut pas affirmer que ce cœur qui est en mesure d’observer est le cœur de bodhi. Ce cœur-là n’est pas le vrai cœur.
Dans le même sutra, il est expliqué ailleurs :
Il
[41] est au-delà de toute représentation, il est absolument indépendant, il n’est attaché à rien qui le rendrait dépendant ; il n’est pas un objet et n’est attaché à aucun objet ; il est sans représentation et n’est attaché à aucune représentation.
Ce cœur, cet esprit qui peut regarder, qui peut observer dépend du fonctionnement mental. Cette conscience mentale elle-même a besoin, pour fonctionner, du corps physique et des agrégats : il est donc dépendant d’autre chose, si bien que ce n’est pas un cœur libre. Ce n’est pas non plus un cœur dont l’état naturel est l’état de nirvāṇa. Partant, comment peut-on dire que c’est le cœur de bodhi ?
Dans le même sutra il est dit encore au sujet de ce cœur de bodhi :
On ne peut pas le voir, il n’est pas composé d’éléments qu’on pourrait assembler ; on ne peut le connaître par l’analyse ; il n’est ni obscurité ni lumière, il n’a ni forme ni représentation le rendant observable ; il n’est pas langage et n’est pas lié au langage ; on ne peut le connaître ni par le toucher ni par le savoir, ni encore par l’odorat…
L’esprit, qui est capable d’observer, d’accéder à la connaissance, existe à partir du corps physique. En outre, nous pouvons le voir et le connaître. Il peut observer et être observé. Il peut analyser et déterminer ce qui est vrai et juste.
Mais le vrai cœur, nous ne pouvons ni le toucher ni y accéder par la connaissance. Le vrai cœur n’est pas capable d’observer ou d’accéder à la connaissance. La plupart des gens pensent que l’esprit d’introspection est le vrai cœur. Mais comment peut-on soutenir que cet esprit est l’essence de bodhi ?
Il est impératif de comprendre que ce qui peut observer et savoir n’est pas le vrai cœur, que l’on soit en état de méditation ou non. Si quelqu’un, en méditant, ferme dans sa concentration, n’ayant pas de pensées indésirable, reste dans un état mental imperturbable, silencieux et peut s’observer lui-même dans cet état de méditation, cela signifie qu’il est en samādhi, mais ce n’est pas là pour autant ce que nous appelons illumination, car il ne s’est pas encore départi de l’observation que lui fournit son mental. C’est la conscience mentale qui est capable d’observer et de demeurer silencieuse. Ce n’est pas le vrai moi.
A travers la pratique du bouddhisme chan, ceux qui comprennent ce qu’est le vrai moi découvrent qu’il est au-delà de la conscience mentale et du sens de l’observation. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut observer, et il est dépourvu de conscience.
L’illumination, dans le bouddhisme chan, permet de comprendre que l’on ne peut pas obtenir le vrai moi.
Ceux dont l’esprit, durant la méditation, n’est traversé par aucune pensée, ont malgré tout conscience qu’aucune pensée n’apparaît en eux. Leur conscience mentale est donc toujours là pour observer l’absence de pensée, ce qui, en conséquence, les amène à entrer dans un certain état de méditation. On peut donc en conclure que cet état de méditation appartient encore au monde du désir, alors que le vrai moi – le tathagatagarbha – est au-delà de tout état de méditation, de toute image et de toute forme. Il est au-delà de la concentration et de la dissipation.
Le sutra du diamant dit que, « quelles que soient les images, ce sont toutes des illusions. »
Dans un autre sutra, le Samdhinirmocana-sutra, le Bouddha a dit :
Dharmodgata, ce que j’entends par « premier sens » dépasse tous les états d’esprit. Les ressentis, les observations font partie de ces états d’esprit.
[…] Tout dépend de ce premier sens. Dharmodgata, tu dois savoir aujourd’hui que par-delà tous les états de méditation se trouve le premier sens.
Donnons un nom à ce premier sens : tathagatagarbha. […] Dharmodgata, celui qui s’attache à un état de méditation, de conscience ou d’observation est dans l’incapacité de comprendre, d’être conscient, de mesurer, de comparer ou de croire que, au-delà de tous ces états, il existe un état propre au premier sens. »
Dans le chapitre 39 du Ratnakuta-sutra, le Bouddha a dit :
L’essence de bodhi est dépourvue de représentations et d’états. Pourquoi est-elle dépourvue d’images mentales et d’états ? Sariputra, cette essence n’a aucune conscience de la vue, c’est pourquoi l’on dit qu’elle est dépourvue d’images mentales. Elle ne peut pas observer les images mentales, et elle est au-delà d’elles. Elle est au-delà des six objets des vijñāna, et comme elle ne peut observer les images mentales, on dit qu’elle est hors de tout état de conscience. Et puisqu’elle n’a pas la faculté d’analyse propre à la conscience mentale, elle ne produit aucune image mentale. Elle n’a aucun état d’esprit du fait qu’elle est au-delà des images mentales et qu’elle ne peut procéder à aucune démarche d’introspection.
Si vous n’avez aucune pensée, vous êtes au moins conscient de n’en avoir aucune, si bien que vous êtes encore dans un état de conscience mentale, là où continuent d’exister les représentations. Lorsque vous n’avez aucune pensée, vous êtes quand même capable d’observer et, donc, de demeurer dans un état mental équanime, mais qui est un état de méditation tout de même. Vous êtes donc à la fois dans un état de méditation et dans un état inhérent à la conscience mentale : vous n’évoluez donc pas dans l’essence de bodhi. Cette essence, elle est par-delà la conscience mentale et l’équanimité.
Sariputra, j’affirme que le cœur de bodhi n’entre ni ne sort jamais. Qu’est-ce que cela signifie ? Sariputra, tout attachement aux dharma, c’est cela que nous appelons « entrée ». Toutes les formes de détachement aux dharma, c’est cela que nous appelons « sortie ».
J’ai clairement énoncé que le tathagatagarbha ne possède ni entrée ni sortie. Sa propriété est l’équanimité.
Par exemple, il peut survenir dans la conscience mentale un certain état de méditation où aucune pensée n’apparaît. Dans cet état le pratiquant peut observer qu’il n’a pas de pensée, car il y est totalement immergé. En d’autres termes, il est attaché à ce dharma de méditation. Et lorsque des pensées troublent sa méditation, cela signifie qu’il en est sorti, qu’il s’en est détaché.
Quand il y a de telles entrées et sorties, cela veut dire qu’il y a des attachements et des détachements. Or, lorsque nous sommes attachés à quelque chose ou que nous en sommes détachés, nous ne sommes pas dans le cœur de bodhi. Le vrai cœur de bodhi n’a ni entrée ni sortie : il n’a ni attachement ni détachement, et il ne pense pas. Il est silence absolu et observateur permanent. Il est le seul et unique vrai cœur. Il n’est pas présent dans la conscience mentale et ne correspond pas non plus à un état de méditation sans pensée.
Sariputra, une fois encore, j’ai montré que ce cœur de bodhi n’a ni fonctions, ni propriétés. Sariputra, cela veut dire que ce cœur de bodhi est invisible à la vue et inconnu à la conscience mentale. Quand je dis qu’il n’a pas de propriétés, j’entends qu’il n’a ni commencement ni fin, et qu’il n’est pas fixé en un lieu donné. Il est séparé de ces trois propriétés, ce qui implique qu’il n’a pas non plus de fonctions.
Celui qui n’a pas de pensée et peut s’observer en cet état est toujours enfermé dans la conscience mentale, car cet état est un dharma fonctionnel, soumis à une entrée et une sortie, condamné à apparaître et à disparaître.
Lorsque nous sommes profondément endormis, que notre esprit est engourdi, apathique, ou que nous avons perdu connaissance ; lorsque nous sommes en état de samadhi sans pensée ou de cessation, ou lorsque nous sommes à l’agonie, dans toutes ces situations la conscience mentale est absente.
La conscience mentale, dans un état de méditation sans pensée, est toujours en mesure d’observer. Par contre, l’état où se trouve le vrai cœur ne correspond à aucun état de méditation. Et pourtant il est présent dans tous ces états de méditation, il y est toujours lié. Il manifeste très librement les différentes fonctions et est au-delà des différents états inhérents à la conscience mentale.
Ce n’est pas avec la conscience mentale que nous pouvons comprendre le cœur de bodhi. Mais ceux qui sont illuminés peuvent en comprendre de petites choses. Quant à ceux dont l’illumination est plus profonde, ils peuvent en comprendre un peu plus. Ceux-là étudient les sutras qui contiennent le sens véritable de la réalité et suivent un authentique boddhisattva qui leur permet de se maintenir sereinement dans l’état propre au vrai cœur. Enfin, ceux qui ont atteint le samadhi de l’ālayavijñāna peuvent accéder à la sagesse et, peu à peu, se rapprocher de la vraie connaissance et de ce qu’est la bouddhéité.
Ce cœur de bodhi est un dharma non fonctionnel qui n’est pas fixé en un point particulier et ne connaît ni commencement ni fin. Quelqu’un qui est dans un état de méditation sans pensée reste quand même dans la conscience mentale, qui est focalisée sur cet état et qui, donc, est soumise à une entrée et une sortie, à un commencement et à une fin. Il est possible donc d’atteindre cet état et de le perdre, ce qui signifie qu’il s’agit bien d’un dharma fonctionnel, un dharma que l’on peut obtenir et perdre. Ce dharma n’est pas donc pas l’illumination, car il dépend toujours de la conscience mentale.
Dans le sutra de l’Eveil parfait, on peut lire ces propos du Bouddha :
Homme de bien, ce sont des obstacles toutes les choses dont nous pouvons être conscients. Les bodhisattva qui sont illuminés sont conscients ne n’être pas attachés à ce qu’ils observent ni à l’état de conscience correspondant. Ils savent que rien de tout ceci n’est durable.
S’il peut observer silencieusement qu’il est dans un état sans pensée, le pratiquant est tout de même dans un état de conscience où il est capable d’observer ; il a donc la capacité d’observer et d’être dans cet état de conscience.
Ceux qui sont illuminés depuis longtemps savent très bien que leur vrai moi ne se situe dans la conscience mentale, mais ils ne sont pas non plus dans l’espace. Ils ne sont pas non plus dans un état dépourvu de pensées. Il n’est que des personnes qui ont mis un terme à l’ignorance concernant l’origine de chaque pensée et continuent à persévérer dans la pratique, dont on peut dire qu’elles ont trouvé la vérité. Elles peuvent demeurer tranquilles dans le vrai cœur. Elles sont à l’écart des connaissances de la conscience mentale et en même temps n’en sont pas séparées.
La conscience mentale qui peut observer ne dure pas. Ce qu’elle observe ne dure pas non plus. Les personnes illuminées de longue date peuvent demeurer ainsi paisibles dans l’état propre à leur vrai moi. Mais pour atteindre cette équanimité, il faut pratiquer longtemps après l’illumination.
Quelqu’un qui vient de recevoir l’illumination ou qui croit seulement l’avoir reçue ne peut comprendre de quoi il s’agit là. S’il pense que l’état sans pensée est le vrai cœur, il a besoin néanmoins de la conscience mentale pour pouvoir observer cet état et y rester.
Nous pouvons en déduire que cet état est toujours un état propre à la conscience mentale qui n’est éloigné ni de la capacité d’observer, ni de ce qui est observable. Ces deux choses – observation et objets observés – dépendent l’une de l’autre, pourtant cela ne signifie pas qu’elles disparaîtront en même temps. Dès lors, nous pouvons affirmer que la capacité d’observer sans qu’aucune pensée n’apparaisse dans la conscience mentale est encore de l’ordre de la conscience mentale et ne peut être identifiée au vrai moi.
Dans le Lankavatara sutra, on relève ce passage :
Le Bouddha dit : « La conscience mentale est segmentée, morcelée. Nous nous attachons aux images mentales ou aux états de la conscience mentale qui vont ensuite, par un effet d’enchaînement, aboutir à de nouvelles images mentales et à de nouveaux états de conscience.
Dans la vie quotidienne, lorsque nous travaillons dans un bureau ou dans un commerce, que nous buvons de l’eau ou que nous nous lavons les mains, que nous sommes très occupés ou que nous bavardons avec beaucoup de gens, notre conscience mentale est également segmentée. Nous ne restons donc pas dans un état sans pensée. Or, pendant ce temps-là, notre conscience mentale est tout naturellement segmentée : il s’agit là encore d’un état de conscience mentale.
Nous pouvons remarquer que, entre le moment de se réveiller, où il n’y a pas de pensée, et celui où nous dormons, où il peut y avoir des pensées, la conscience mentale est bel et bien segmentée. Nous sommes alors en mesure de dire que l’état de conscience sans pensée et l’observation même de cet état sont amenés tous deux à disparaître : il s’agit là également d’un état de conscience mentale.
Prenons un pratiquant qui s’élève à un niveau de conscience sans pensée et qui, tout à fait silencieux, peut observer cet état où il se trouve. Prenons aussi quelqu’un qui a perdu connaissance ou qui est en train de mourir. Manas dans ces cas-là ne peut pas utiliser le corps physique. Ces exemples nous montrent que nul ne peut demeurer indéfiniment dans un état sans pensée, qui sous-entend que cet état est segmenté. Cet état segmenté appartient donc bien à la conscience mentale.
Celui qui se figure que l’état sans pensée est le vrai moi reste attaché à une mauvaise compréhension du vrai moi et à toutes les théories qui en découlent. Il n’a pas mis un terme à son incompréhension au sujet du vrai moi, en sorte que cela impacte la compréhension, erronée également, qu’il a des êtres sensibles et de la vie. Il n’est pas véritablement illuminé.
Dans un poème du sixième maître bouddhiste chan, Hui neng, on trouve ces paroles : « Hui neng n’a aucune compétence. Il ne parvient jamais à interrompre les pensées qui lui viennent. Il est capable de reproduire n’importe quel état. Telle est la sagesse de bodhi. »
Si quelqu’un a encore des pensées indésirables, qu’il soit très occupé, fâché, en colère ou en train de se quereller, ou, même encore, quand il n’a aucune pensée et qu’il évolue dans un parfait silence, la conscience mentale est toujours là, attentive à ce silence. Ce pratiquant, s’il sort de l’état de méditation sans pensée et qu’il se dispute avec une autre personne, néanmoins, son cœur de bodhi reste toujours quant à lui au-delà des six entrées, sans aucune pensée et dans un silence absolu, fournissant tout ce qui est demandé, interagissant sans difficulté avec la conscience mentale.
Celui qui imagine que l’état sans pensée est le vrai moi devrait relire la poésie du sixième maître chan, l’analyser et la synthétiser : cet état sans pensée, c’est encore la conscience mentale. Nous ne sommes pas même au niveau de manas. Il est donc impossible d’affirmer que cet état est l’ālayavijñāna, le vrai cœur.
L’ālayavijñāna est invariable. Que nous soyons éveillés ou non, que nous soyons concentrés ou distraits, de la naissance à la mort, que nous nous fâchions ou que nous soyons calmes ; depuis des temps immémoriaux jusqu’à présent et d’aujourd’hui jusqu’à un nombre incalculable de vies dans le futur, l’ālayavijñāna est et sera toujours dans un calme et un silence absolus, manifestant toutes sortes de karmas. Elle est au-delà des six entrées et peut fournir sans peine tout ce qu’il faut pour qu’apparaisse la conscience mentale. Toutefois, la conscience mentale seule est capable de penser et d’observer.
Cet état de conscience sans pensée dont nous avons parlé et qui propre à la conscience mentale n’est pas tenable indéfiniment. Ainsi, la conscience mentale disparaît durant le sommeil comme elle apparaît à l’état de veille. L’état de conscience sans pensée peut aussi apparaître en état de méditation ou lorsque nous sommes tranquilles, et disparaître lorsque cesse la méditation ou que nous nous disputons. Etant en vie, nous pouvons avoir cet état de conscience sans pensée et perdre tout état de conscience au moment de la mort. Lorsque notre esprit est clair ou que nous nous évanouissons, nous pouvons avoir cet état de conscience sans pensée.
Il est évident, alors, que cet état de conscience sans pensée ne dure pas et que, donc, il n’est pas le vrai cœur, l’ālayavijñāna : il se manifeste par périodes seulement, apparaissant et disparaissant, ce qui nous autorise à dire qu’il ne s’agit bien là que de la conscience mentale.
Les pratiquants doivent se pencher sérieusement sur cette question. Celui qui croit que l’état de conscience sans pensée est le vrai moi ne trouvera pas le vrai moi, qui est très au-delà de la conscience mentale et des six entrées. Mais il s’égarera dans la vision éternaliste. Le Bouddha a dit que les personnes ignorantes, ne sachant pas que le vrai moi est au-delà de la conscience mentale, croient qu’il s’agit de l’ālayavijñāna, si bien qu’elles vont adhérer à la vision éternaliste.
Celui qui croit que l’état de conscience silencieux est le vrai cœur, a tout intérêt à s’observer lui-même afin de se défaire de son illusion et de cesser de croire qu’il est illuminé et de divulguer un enseignement faux au nom du bouddhisme. Il pourrait bien, sinon, passer soixante-dix kalpas en enfer. Même si, sur son lit de mort, il regrette ce qu’il aura dit dans sa vie, cela risque d’être trop tard pour lui cependant : il faut donc être très vigilant, extrêmement vigilant.
Voici ce qu’on peut lire dans le Sandhinirmocana Sūtra :
La vraie nature du monde se situe au-delà de la conscience mentale et de l’introspection. J’ai atteint la complète illumination et je l’ai déjà expliquée à tous les hommes. De surcroît, j’ai établi la manière correcte de comprendre aisément le véritable enseignement, et cela est absolument juste. Mon enseignement exprime le vrai sens de la nature du monde et a été attesté par les saints.
Les hommes ordinaires peuvent arriver à observer les différents états de leur conscience mentale. Cela leur permet de se trouver eux-mêmes.
Selon le dharma et le vrai sens du monde, le sens fondamental du monde dépasse la conscience mentale et tout ce qui est observable.
Si quelqu’un parvient à réaliser les quatre dhyana dans le monde sans forme, il est cependant lié à sa conscience mentale, bien que cette conscience soit alors très subtile. Celui qui, conscient de n’avoir pas de pensées, demeure donc dans la conscience mentale et évolue de surcroît dans le monde du désir, comment peut-il affirmer qu’il a atteint l’illumination ?
Certains de ceux qui pratiquent la méditation cherchent à éprouver différentes sensations. De fait, ce genre de personnes n’aime pas le véritable enseignement. En effet, le véritable enseignement du chan consiste à obtenir quelque chose et que ce quelque chose n’est rien.
Tous ceux qui n’ont pas été correctement conduits par certains guides s’imaginent que, au moment où ils atteindraient illuminés, ils obtiendraient des pouvoirs surnaturels. Ils les désirent, ces pouvoirs, et ils croient que la pratique du chan n’est rien d’autre que cette méditation qu’ils pratiquent. Ils ignorent que le chan est la vraie sagesse de prajñā et que l’illumination consiste seulement à comprendre, à un moment donné, ce qu’est la réalité du monde. Ce n’est pas l’illumination qui procure des pouvoirs surnaturels. L’illumination, c’est retrouver le vrai cœur, celui que l’on ne peut obtenir. Ces gens n’ont pas cette connaissance, cette sagesse et cherchent conséquemment différents états de méditation.
Il est certains maîtres qui, à peine illuminés, sont trop gentils. Ils n’ont pas aidé les autres à approfondir leur expérience et leur compréhension et, presque ouvertement, leur ont dit ce qu’était la vraie nature de la réalité du monde. Mais, du coup, les personnes à qui ces maîtres ont presque révélé la nature de la réalité du monde n’osent pas affirmer l’authenticité de cette réalité.
L’illumination véritable ne se réduit pas à un état de méditation, et les personnes illuminées, d’ailleurs, n’obtiennent rien du tout ! Quant aux personnes qui n’osent attester de la véritable nature de la réalité, il leur manque la confiance et la sagesse. Ils ont besoin surtout d’une méditation qui leur apporte de la joie. Ils ne croient pas en la réalité du premier sens, ni que ce premier sens soit au-delà de la conscience mentale.
Même si certains guides les ont aidés à atteindre l’illumination, sitôt qu’ils ont pris connaissance de cette pratique de méditation et qu’ils ont pu en obtenir différentes sensations et progresser dans les différentes étapes, ils vont se figurer que ces sensations et ces étapes sont le vrai enseignement. Ils vont croire alors que la conscience mentale est le vrai cœur. Ils n’adhéreront plus à l’idée d’un vrai cœur au-delà de la conscience mentale et des capacités d’analyse.
Ils rejetteront désormais l’aide de leurs guides comme ils rejetteraient de vieilles chaussettes. Ils les diffameront secrètement, arguant qu’ils n’ont jamais été illuminés, cependant qu’ils se diront eux-mêmes illuminés.
C’est comme s’ils abattaient une montagne d’or et que, ne ramassant dans la terre que trois pièces de cuivre trouvées ça et là, ils les prenaient pour l’or le plus précieux. Ces gens-là croient que la méditation est la véritable sagesse, prajñā. Le Bouddha avait souligné déjà le fait que certaines personnes, en pratiquant, préfèrent s’attacher aux sensations qu’ils retirent.
Ces gens sont habitués à la pratique du Hīnayāna. Ils n’étudient pas la parole du Bouddha, mais se rallient aveuglément à un certain maître qui a écrit quatre-vingt seize livres fort connus et qui, mort à Hong Kong, aurait laissé son corps physique en état d’incorruptibilité. Bien des gens suivent son enseignement sans le moindre esprit critique : ils observent l’obscurité au fond de leur cœur et parviennent simplement à éveiller des sensations et la conscience qu’ils sont en train de méditer.
De telles personnes, j’en ai déjà rencontré. Il est impossible de les raisonner, de retourner leur pensée, même avec la force de neuf taureaux, si bien qu’il m’a fallu les laisser à leur recherche de sensations, les laisser nier que l’ālayavijñāna est le vrai cœur. Ils n’ont eu de cesse d’affirmer que le vrai cœur est cela même qui est capable d’observation et d’introspection.
Ces sensations qu’ils éprouvent accroissent leur désir de continuer de ressentir et de penser, et leur désir d’y demeurer toujours. La source de ces sensations leur étant inconnue, ils sont dans l’ignorance de l’origine de ces pensées et sont en conséquence dans l’impossibilité de se libérer.
Il serait dans leur intérêt qu’ils s’appuient sur le vrai cœur, ālayavijñāna, qui est au-delà de tout état de méditation, et qu’ils fondent leur pratique sur ce vrai cœur. De la sorte, ils pourraient, non seulement, atteindre l’illumination, mais évoluer ensuite à partir d’une pratique qui se fonderait sur le vrai cœur.
Le Bouddha a dit : « Lorsque vous avez prouvé qu’il est impossible d’obtenir les dharma, vous avez obtenu le cœur de bodhi. » Dans ces mots, le Bouddha explique à tous les êtres sensibles qu’il existe effectivement un cœur de bodhi.
C’est comme lorsque vous vous demandez si les arhat ont atteint les fruits d’arhat : il n’est aucune fonctionnalité permettant d’obtenir les fruits d’arhat. Ce terme, « bodhi », est employé dans le langage courant, mais en réalité bodhi n’existe pas.
Celui qui prouve que les dharma ne peuvent pas être obtenus, on dit qu’il a obtenu bodhi. Mais dans les faits, aucun cœur ou esprit ne l’a conçu et bodhi lui-même n’existe pas. »
[42]
Si quelqu’un pense qu’il peut maîtriser la méthode qui consiste à observer en soi-même l’obscurité jusqu’à ce que, l’obscurité se dissipant, l’illumination soit atteinte, il va penser également pouvoir obtenir le cœur de bodhi. Or, s’il pense l’obtenir, ce n’est pas vraiment bodhi. En vérité, cela revient à penser que la conscience mentale est le vrai cœur.
Ces gens portent beaucoup de diffamations contre les personnes illuminés et tous ceux qui affirment que le vrai moi est par-delà la conscience mentale et ce qui est observable. Ils vont dire de ces personnes qu’elles ne sont pas illuminées. Et plus encore, ils vont enseigner à d’autres pratiquants leur méditation et leur faire croire que les différentes étapes auxquelles il est possible d’accéder avec cette méditation consistent dans la vraie sagesse.
Ils vont porter leurs diffamations également sur le véritable enseignement, ce même enseignement qu’on ne peut obtenir et qui est au-delà de la conscience mentale et de ce qui peut être observé.
Tout ceci est regrettable, et j’éprouve pour ces gens beaucoup de pitié, car lorsqu’ils auront quitté leur corps physique, il leur sera très difficile d’éviter l’enfer.
Mais il est réellement possible de faire l’expérience de bodhi, bien qu’elle ne soit identifiable à travers aucun état de conscience et qu’elle soit au-delà de la conscience mentale et de la connaissance. C’est une chose absolument incroyable, inaccessible à l’analyse et à la conscience mentale, et qui ne peut être ni obtenue ni prouvée.
On peut lire dans le Vajrasamadhi-sutra :
Le bodhisattva Cittaraja a dit : « En apparence, les manifestations du dharma sans commencement sont vides. On ne peut ni voir ni entendre ce dharma, ni même l’obtenir ou le perdre. Il n’a aucune apparence, il est au-delà de la connaissance. Comment, alors, peut-on donner la preuve qu’on l’a trouvé ?
Si quelqu’un, à partir de tel ou tel état de méditation, prétend pouvoir donner une preuve de sa présence, cela appelle certainement à des commentaires. »
Le bodhisattva Cittaraja a dit : « il est impossible d’obtenir ou de perdre cette nature de bodhi. Au-delà de la conscience mentale et de la connaissance, dépourvue d’apparence et de la faculté de discernement, telle est la nature de bodhi. Et dans ce non discernement se trouve sa propreté. »
Que quelqu’un observe en soi-même l’obscurité, et il atteindra assurément un certain état de méditation, en sorte qu’il ne sera pas sorti de sa conscience mentale : il aura bel et bien obtenu quelque chose, un état de conscience mentale.
Le vrai cœur est au-delà de la conscience mentale, de la connaissance et du discernement. Aucun état de méditation ne peut découvrir son existence. C’est pourquoi l’on dit que sa nature est propre. Tel est le cœur véritable de bodhi.
Un chapitre du Mahā-vaipulya-buddhâvataṃsaka-sūtra contient un enseignement sur les dix types de retours karmiques des bénéfices. On trouve dans ce sutra ces paroles du Bouddha :
Ainsi le véritable état de la vraie ainsité est-il d’être au-delà de tout état de conscience mentale. Ainsi la vraie ainsité est-elle immesurable. Ainsi la vraie ainsité est-elle constante et ne va-t-elle pas apparaître à tel ou tel moment. Ainsi la vrai ainsité ne peut-elle pas s’acquérir. Ainsi la vraie ainsité ne se situe-t-elle pas en un endroit fixe.
Ce maître qui nous demande d’observer l’obscurité au fond de nous-même nous conduit ipso facto à un certain état de méditation, donc à un état qui exige une concentration, une immobilité temporaire de la conscience mentale.
Dans le Yogacara-bhumi-sastra, on lit que les six vijñāna ont été créées par le tathagatagarbha et que les états de ces six vijñāna n’ont jamais été en dehors de la conscience mentale.
Cependant que cet état d’observation de l’obscurité n’a pas accès au-delà des frontières de la conscience mentale, la personne illuminée sait, quant à elle, qu’elle n’a jamais obtenu aucun état de conscience mentale, dans la mesure où ālayavijñāna est toujours présente en soi : elle est l’état de nirvāṇa, qui est sa nature propre.
Si des gens affirment que leur illumination a consisté dans le fait d’accéder à un état de conscience, c’est que leur illumination est fausse : ils n’ont pas trouvé leur vrai moi car ils sont toujours dans un état de conscience mentale. Ces personnes, en renonçant à la vérité pour des rêveries, sont ainsi devenues profondément ignorantes.
Le vrai cœur n’est pas la conscience mentale qui a accès à la compréhension. Seul un bouddha peut comprendre le fonctionnement du vrai moi dans ce qu’il a de plus subtil. Les personnes illuminées n’en peuvent saisir qu’une partie infinitésimale, ou une très petite partie en tout cas. Et pour les gens ordinaires il est inintelligible si on le considère dans sa totalité. Les gens qui observent l’obscurité intérieure sont dans un état de méditation que la conscience mentale peut comprendre. Cet état de méditation, comme tous les autres, étant parfaitement intelligible, il n’est donc pas le vrai moi : il appartient encore à la conscience mentale.
Le vrai moi n’est pas « clignotant », apparaissant et disparaissant. Il est présent en permanence. Dans quelque état que nous soyons, immobile ou actif, endormi, sans activité mentale ou en samādhi, il est toujours là. Nous ne le verrons pas en nous-même, dans cette obscurité intérieure. S’il devait nous apparaître seulement quand nous le regardons ou que nous nous concentrons, et disparaître lorsque nous ne le regardons plus ou que nous cessons de nous concentrer, ce ne serait pas le vrai cœur : ce serait encore la conscience mentale. Le vrai cœur est toujours présent, il ne disparaît jamais, dans quelque état que nous nous trouvions. Ce qui peut être perçu n’est jamais le vrai moi.
Le fait d’observer les mouvements de notre intériorité est une pratique de méditation comparable à celles des hérétiques. Même celui qui accède à un samādhi sans pensée et sans non pensée n’a pas franchi les frontières des trois mondes.
Le vrai cœur accompagne les êtres ordinaires tout au long du cycle des réincarnations. Mais il n’a durant les pratiques méditatives aucun ressenti particulier, et il n’est ni concentré ni déconcentré. Il est celui qui manifeste les trois mondes et les six chemins de la réincarnation. Il ne se situe pas en un lieu donné, et tout ce qui est observable en méditation est tributaire de la conscience mentale qui, seule, peut se fixer sur une chose précise. Ce genre de pratiques est lié étroitement à la conscience mentale et à son fonctionnement. Cela n’a rien de commun avec la prajñā.
Le commun mortel tend toujours à aller vers la gauche ou vers la droite
[43]. Quand ils entendent dire que le vrai cœur est en dehors de la conscience mentale, la plupart des gens pensent que, lorsqu’en méditation ils n’ont plus rien à observer, c’est le signe qu’ils ont atteint l’illumination. Mais c’est pourtant toujours un état de méditation neutre
[44], comparable à un état de torpeur (même si cet état est bon pour la santé). De même, ceux qui entrent en samādhi et qui ne sont donc plus en état de connaître ou d’observer, ils croient avoir découvert le vrai cœur et que celui-ci est vide.
Mais en fait, ce sont des raisonnements fallacieux. Et quand bien même ces personnes accéderaient au samādhi sans pensée et sans non pensée, il n’en resterait pas moins qu’ils n’auraient pas accès au vrai cœur, attendu que le vrai cœur ne quitte ni n’entre jamais en samādhi. Ceux qui, entrant en samādhi, prétendent avoir trouvé leur vrai cœur, en quittant son samādhi, leur vrai cœur devrait alors disparaître, comme ils le prétendent eux-mêmes. Il serait donc transitoire.
Que nous ayons ou non accès à la compréhension de quoi que ce soit, le vrai cœur est présent. Lorsqu’une personne médite ou qu’elle est active, le vrai cœur est au-delà de la conscience mentale. Il n’est donc pas lié à la conscience mentale.
La méditation consistant à observer l’obscurité en soi attache le pratiquant à l’état où elle le porte. Par contre, dans la véritable pratique du chan, la personne utilise sa conscience mentale pour analyser ce qu’elle perçoit. Il lui est loisible, pour observer les manifestations de la conscience mentale, de ne pas utiliser le langage. Et à partir de cet état, elle peut accéder à un « état sans état », un état qui n’a jamais été obtenu. Tel est le véritable chan, la véritable prajñā.
Les gens qui croient que le fait d’observer l’obscurité dans laquelle ils sont plongés quand ils ferment les yeux leur permettra de recevoir des visions s’attacheront à ces images mentales. Quant à ceux qui en resteront détachés, ils penseront que, lorsque ces images cessent de se manifester, ils auront atteint un état de tranquillité propre au vrai cœur. Et quand ils sortiront de leur méditation, ils en déduiront que ce « vrai cœur » qu’ils ont conçu est un cœur qui remplit l’univers tout entier, et qu’ils ont atteint l’illumination et la vérité, en sorte qu’ils deviendront plus orgueilleux, qu’ils rejetteront les maîtres qui leur indiqueront leurs erreurs de jugement et qu’ils agiront comme s’ils étaient des saints, diffamant ainsi l’enseignement véritable. En conséquence, ils n’auront pas d’autre possibilité que d’être précipités en enfer. Il faut donc que les pratiquants portent sur ce point une attention accrue.
VII. Les énergies présentes dans l’univers ne sont pas le vrai moi ; il n’existe pas un vrai moi commun à tous les êtres sensibles
Certains pratiquants entendent des maîtres leur expliquer que le vrai cœur est au-delà de la conscience mentale. Ces pratiquants, n’étant pas illuminés et ignorant ce que signifient ces propos des maîtres, vont en conclure que le vrai moi est l’absence de pensée dans la conscience mentale. Ils propageront ensuite l’idée que le vrai moi est une énergie présente dans l’espace, dépourvue de forme et de couleur, absolument constante et au-delà de la conscience mentale. Ils aboutiront finalement à l’idée que le vrai cœur, étant partout, est un et présent dans tous les êtres sensibles. Poursuivant leur raisonnement, ils s’accorderont à dire que les êtres sensibles sont nés de cette énergie omniprésente, de cette unique vraie ainsité. Ils réfuteront l’idée que chaque entité possède sa propre ainsité. Ils approuveront en revanche l’idée selon laquelle cette force originelle, certes au-delà de la conscience mentale, est capable pourtant de doter chaque être sensible d’une conscience mentale. Ces pratiquants, accédant à un état sans pensée, se sont ainsi convaincus que cet état de conscience mentale sans pensée correspondait au vrai moi.
Leur discours est similaire à ceux des six maîtres hérétiques dont nous avons parlé précédemment, ou aux propos de Vaisesika.
Si l’espace est vide, donc s’il n’a ni connaissance ni quoi que ce soit qui lui permette d’agir, comment est-il en mesure de créer des êtres sensibles et de les doter de fonctions ? Ce simple raisonnement nous montre que le concept d’espace vide ne renvoie à aucune réalité. Seule, l’ālayavijñāna est à la fois négation de la connaissance et non-négation de la connaissance. Seule, elle est négation des dharma fonctionnels et non-négation des dharma fonctionnels. Elle contient toutes les graines karmiques propres à chaque être sensible et, ayant créé leur corps physique une fois que sont apparues les conditions nécessaires, elle forme la vie.
L’idée qu’un espace vide, sans connaissance, sans conscience, serait capable de créer le corps des êtres sensibles, est un discours typiquement hérétique. En effet, cet espace vide doit être, par sa nature même, inchangé. Or, ce que contient le vrai cœur change sans cesse. L’idée selon laquelle il serait un espace est ainsi démentie, ce qui démontre également que c’est une idée contraire aux paroles du Bouddha.
L’énergie qui serait située dans l’espace ne pourrait pas être transformée par un être sensible. Et si un être sensible ne peut la transformer, comment pourrait-il percevoir et faire naître les fruits karmiques qui en découleraient ? S’il est capable de percevoir les fruits karmiques en lui, c’est bien que cette énergie est inconstante. Et si l’énergie de l’espace pouvait changer, c’est qu’elle ne serait plus, finalement, constante.
Le vrai moi n’est donc pas l’énergie de l’espace qui ne peut percevoir les manifestations karmiques, sans quoi ce vrai moi serait semblable aux herbes, aux arbres, aux rochers ou aux cailloux. Le vrai moi des êtres sensibles qui n’ont pas encore accédé à la bouddhéité n’a jamais cessé d’émettre les différentes fonctions. Toutefois, il est au-delà de la conscience mentale présente dans le corps physique des êtres sensibles.
Ce discours que nous venons de donner, c’était le discours même du Bouddha lorsqu’il s’opposait aux paroles hérétiques de Vaisesika. On le trouve bien présent dans le Lankavatara sutra. Le Bouddha y rejette très nettement les théories des hérétiques. Que les authentiques bouddhistes soient donc avertis de ne pas s’appliquer à mettre en pratique ce genre de discours, et qu’ils ne l’utilisent pas pour rejeter le véritable enseignement. S’ils le font, ils sombreront sans nul doute en enfer une fois décédés, tout comme y sombreront ceux qui auront ajouté aux paroles du Bouddha des idées propres aux visions hérétiques.
On trouve dans Vimalakirti-Nivdesa Sutra le passage suivant :
Ce qui, du fait qu’il peut cerner chacune des fonctions des êtres sensibles, est capable de percevoir, c’est bodhi. Ce qui est incapable de comprendre, c’est bodhi : en effet, il ignore tout de ce que sont les différentes entrées.
Ce passage est un véritable miroir pour les bouddhistes. Au moment de procéder à leur introspection, les personnes illuminées doivent saisir le sens de ce texte. Celui qui pense être illuminé, s’il n’en comprend pas le sens, il n’est pas vraiment illuminé. Il lui faut donc poursuivre ses recherches afin de trouver le vrai cœur. Dans ce sutra, il est précisé très clairement que le dharma sans commencement est au-delà de la conscience mentale et que bodhi est inapte à observer. Pourtant ce même texte dit bien que bodhi est apte à percevoir. Cela étant dit, cette capacité de percevoir n’est pas une émanation de la conscience mentale. Il s’agit plutôt de dire que bodhi peut être « au courant de quelque chose », propriété qui correspond à l’un des sept états (l’état de sagesse) qui, dans le Lankavatara sutra, définit le vrai moi. Un être ordinaire ou tout juste illuminé ne parviendra pas à comprendre cela, pas plus que ne le comprendront ceux qui pensent que, n’ayant pas de pensée, ils ont atteint l’illumination, ou ceux qui adhèrent à l’idée d’une force surnaturelle présente dans l’espace. A ceux qui pensent que, sans pensée, ils ont atteint l’illumination et que cet état est bodhi, je pose cette question : est-ce que votre conscience mentale est capable ou non de connaître toutes les fonctions intrinsèques aux êtres sensibles ? Si vous pensez être illuminés mais que vous ne connaissiez pas les fonctions présentes dans les êtres sensibles, je vous affirme que vous n’êtes pas illuminés. Ne cherchez donc pas atteinte aux vrais maîtres.
Lorsque quelqu’un pense qu’il est illuminé parce que sa conscience mentale ne manifeste aucune pensée, cette « illumination » ne lui permet pas pour autant de cerner les fonctions des êtres sensibles. D’ailleurs, même s’il était télépathe, il ne pourrait pas davantage le faire. En effet, la conscience mentale est un faux moi. L’ālayavijñāna n’a pas la faculté de juger, mais elle dispose de celle de cerner les fonctions.
Il y a dans ce que nous disons un sens caché que nous ne pouvons pas révéler ouvertement, si nous voulons préserver l’école bouddhiste authentique et faire perdurer indéfiniment le vrai enseignement.
Vous qui affirmez que le vrai moi, que bodhi est la conscience mentale, pourquoi le bodhisattva Vimalakirti a-t-il dit, dans son sutra, que le cœur de bodhi ne peut connaître du fait qu’il n’est pas liée aux douze entrées ? Parce que le cœur de bodhi n’a aucune connaissance des six entrées et qu’il n’est pas lié à la conscience mentale : il ne peut donc pas être la conscience mentale. Mais s’il a dit que bodhi est incapable de comprendre, pourquoi a-t-il dit aussi qu’il est capable de percevoir ?
Le Vimalakirti-Nivdesa Sutra a dit également ceci :
Ce cœur de bodhi ne perd ni ne gagne rien, n’a ni conscience ni connaissance et ne peut pas discerner. Sa nature est propre, sans souillures, sans lien avec la parole, au-delà de l’existence et de la non-existence et ne peut ni comprendre ni ne pas comprendre.
Plus loin dans le sutra il est dit également :
Ce cœur de bodhi dépourvu de discernement, discerne pourtant sans cesse les dharma.
Les maîtres qui affirment eux-mêmes être illuminés, si le « cœur » qu’ils ont découvert est en dehors du chemin du milieu, s’il ne peut ni comprendre ni ne pas comprendre, s’il ne correspond pas à tout ce que nous avons évoqué plus haut, s’il ne peut pas discerner mais peut néanmoins discerner infiniment tous les dharma, alors ce n’est pas le vrai cœur. Il ne faut pas donc pas critiquer les personnes réellement illuminées. Si vous le faites, cela revient à jeter la pierre sur les trois trésors et à afficher une supériorité vis-à-vis de ceux que vous diffamez. Si vous agissez de la sorte, vous êtes promis à l’enfer.
Certains maîtres expliquent que bodhi, qui est ce qui ne peut pas comprendre, est une énergie surnaturelle présente dans l’espace, dépourvue de connaissance et de conscience et capable de créer des êtres sensibles doués quant à eux de conscience et de connaissance.
Le Bouddha a rejeté ce genre de discours. Certaines personnes lui ont déjà soumis toutes sortes de questions, toutes sortes d’hypothèses sur ce sujet dans le but de le confondre, mais sans succès. Mais pourquoi ces maîtres dont nous venons d’exposer la théorie ne cherchent-il pas à étudier les sutras du Bouddha ? Pourquoi persistent-ils à imaginer qu’il existe une force surnaturelle occupant l’espace et à penser qu’il s’agit là de la vraie ainsité ?
Supposons que cette énergie habitant l’espace ne soit pas dans notre corps. Cela revient à dire que notre corps est semblable à un zombie, puisque ce qui manifeste les fonctions doit être lié nécessairement au vrai moi. Si notre corps physique peut exprimer différentes fonctions, c’est que cette énergie doit être présente en lui, car il faut que le vrai moi ne s’éloigne pas de ces fonctions qu’il a manifestées. Si cette énergie est présente à la fois dans l’espace et dans notre corps physique, cela signifie qu’il ne doit y avoir qu’une seule personne à travers tout l’univers qui puisse manifester les fonctions. Toutes les autres en seront dénuées. Partant, on peut comprendre que l’idée d’un vrai moi remplissant l’espace et capable de créer tous les êtres sensibles tout en procurant à chacun d’eux une conscience propre, est une idée fausse et que rien ne justifie.
Si un maître dit encore que cette même énergie peut se diviser elle-même en de petits fragments qui vont vivre alors individuellement dans les corps de différents être sensibles ; autrement dit, si ce maître affirme que le vrai moi peut être morcelé, nous sommes bel et bien confrontés à une hérésie.
S’il dit à présent que tous êtres sensibles sont nés de cette unique énergie qui occupe l’espace, nous devons en conclure que tous les êtres sensibles ont en commun un seul et vrai moi, que, étant tous identiques, ils ont tous la même intelligence. Mais, il vous suffit d’observer autour de vous, et vous constaterez que certaines personnes sont douées, d’autres moins, que certaines sont intelligentes, d’autres bêtes. S’ils étaient tous identiques, les êtres sensibles devraient avoir en commun un même karma. Si l’un d’entre eux atteignait la bouddhéité, tous les autres devraient l’avoir atteinte également. Si quelqu’un produisait un mauvais karma, tous devraient produire le même karma au même instant. Si quelqu’un descendait en enfer, tous devraient s’y rendre également, et si quelqu’un montait au ciel, tous devraient y aller. Pourtant, lorsque quelqu’un diffuse cette idée d’une énergie unique dans l’espace, il nous est aisé de trouver autour de nous des contre-exemples pour contester ces allégations.
Si l’on admet que les êtres sensibles ont chacun un vrai moi indépendant, unique, nous ne pouvons plus affirmer que le vrai moi est partout présent dans l’espace infini, ni qu’il est une énergie surnaturelle dans l’espace.
S’il s’agit d’une énergie présente dans l’espace, il faut, selon les hérétiques, qu’elle le remplisse tout entier. Proposons donc que chaque vrai moi remplisse totalement l’espace infini. En ce cas, tous les vrais mois des êtres sensibles doivent se mélanger entre eux. Or, ce n’est pas le cas. Celui qui défend ces idées soutient finalement que le vrai moi remplit l’espace infini et se mêle à tous les autres vrais mois. Conséquemment, il avance que, lorsque quelqu’un se libère, tous les êtres se libèrent avec lui, qu’au moment où quelqu’un décède, il faut que tous les êtres décèdent en même temps que lui, et que lorsqu’un être décède, tous décèdent aussi. En effet, il n’en peut être autrement si chaque vrai moi des êtres sensibles est mêlé à tous les autres au point de ne former qu’un seul moi et de remplir l’espace infini.
Tout ce que nous venons de démontrer prouve que le vrai moi qu’il n’est pas une énergie surnaturelle et qu’il ne remplit point l’espace. En vérité, il habite dans le corps des êtres sensibles.
Pour ceux qui n’ont pas atteint le huitième niveau de bhumi, le vrai moi se nomme ālayavijñāna, tathagatagarbha ou corps du dharma. Le Bouddha a dit dans le Tathagatagarbha sutra :
Je vois la souffrance des êtres sensibles, semblable à une rivière qui s’écoule sans cesse. Or, la souffrance génère un nombre incalculable de vies et de morts. Mais le tathagatagarbha des êtres sensibles reste toujours aussi pur que mon propre tathagatagarbha. Il n’existe aucune différence entre eux.
Le tathagagarbha ne s’est jamais départi de ses fonctions intrinsèques, lesquelles ne se sont elles-mêmes jamais départies du tathagatagarbha. Le chapitre 30 du Mahaparinirvāṇa sutra défend de dire que le vrai moi vient de notre corps, puis qu’il s’en éloigne pour se loger ailleurs.
Ce vrai moi n’est en aucune façon une énergie surnaturelle en provenance de l’espace. Nous savons que, tout à la fois, la faculté de discernement est le propre de bodhi et que l’incapacité de comprendre est inhérente à bodhi. Ces deux propositions constituent le vrai cœur, ālayavijñāna. Le vrai cœur seul se définit en même temps par la première et par la seconde de ces propositions.
Nous ne pouvons donc pas confirmer que le vrai moi est la conscience mentale, ni qu’il remplit l’espace. Nous ne pouvons pas non plus approuver l’idée d’une énergie présente dans l’espace, sans conscience et qui serait pourtant en mesure de créer la conscience mentale des êtres sensibles. Celui qui appuie une telle idée appuie une hérésie qui, à l’époque déjà, était rejetée par le Bouddha.
Un être illuminé comprend et peut parfaitement expliquer en quoi bodhi est capable de percevoir ce qui est, dans la mesure où il peut cerner chacune des fonctions des êtres sensibles. Il comprend et peut expliquer également que bodhi est incapable de comprendre, puisqu’il ignore tout de ce que sont les différentes entrées. Celui qui est capable d’expliquer le sens de ces deux propositions est véritablement illuminé. Celui-là comprend bien que le vrai moi n’est pas un moi surnaturel cosmique, que chaque être sensible dispose d’un vrai moi unique et personnel.
Le tathagatagarbha, des êtres ordinaires à ceux qui n’ont pas encore atteint le huitième bhumi de bodhisattva, on le nomme ālayavijñāna. Ceux qui sont au huitième bhumi et au-delà et qui sont les grands arhats, leur vrai moi est appelé amalavijñāna. Quant au vrai moi des bouddhas, on en parle en termes de vraie ainsité.
Celui qui trouve au fond de lui un cœur qui comble l’espace ou qui n’a pas de pensée n’a pas trouvé son vrai moi. Le vrai moi n’est pas non plus cette énergie spirituelle universelle que conçoivent certaines personnes.
Ce cœur qui se montre durant la méditation ou au moment d’en sortir, ce n’est pas non plus le vrai moi, ce qu’on appelle ālayavijñāna ou tathagatagarbha. Il s’agit seulement de la conscience mentale. Pour les pratiquants qui souhaitent étudier le bouddhisme chan et qui ne désirent pas cependant méditer, ils doivent éviter cette méthode, c’est impératif ! S’ils le font, ils en arriveront très vite à confondre le vrai moi avec la conscience mentale. Or, s’ils commettent une telle erreur, ils ne sortiront pas du cycle des réincarnations et, diffamant les maîtres authentiques, ils iront en enfer à leur mort. Les pratiquants doivent considérer très sérieusement ce problème.
VIII. La conscience tranquille et sans pensée : un faux cœur qui ne peut pas devenir un vrai cœur
Certains pratiquants bouddhistes manquent de connaissances et, en étudiant les sutras du premier sens, ne parviennent pas à en saisir la signification. Leur mauvaise interprétation de ces textes les conduise à penser qu’en observant au tréfonds de leur conscience mentale ils trouveront leur vrai cœur. De là, ils considèrent que la conscience mentale, lorsqu’elle est en état de méditation, est le vrai cœur et que, donc, l’ālayavijñāna ne l’est pas (puisque, quel que soit le lieu et le temps, l’ālayavijñāna ne dispose pas d’une conscience capable d’observer et d’analyser). Ils cherchent le vrai cœur en dehors de l’ālayavijñāna et identifient la conscience mentale sans pensée au vrai cœur. Ils pensent que, étant entrés dans cet état de conscience mentale sans attachement et incapable de rien analyser, ils ont atteint la libération. Ce faisant, ils s’engagent dans une voie fallacieuse.
Mais pourquoi est-ce une voie fallacieuse ? Parce que la nature même de la conscience mentale ne permet pas d’accéder à la libération : la conscience mentale n’est en effet jamais délivrée de l’attachement au désir. Même s’il entre dans le quatrième dhyana et le huitième samādhi, le pratiquant n’est toujours pas affranchi du cycle des réincarnations. Nous devons comprendre absolument que la conscience mentale est impermanente par nature. Alors seulement nous pouvons appréhender ce qu’est l’ālayavijñāna. Partant, nous pourrons éliminer progressivement les fruits karmiques qui y sont contenus et comprendre vraiment, à un moment donné, ce qu’est la vie et la mort.
Les pratiquants doivent comprendre et trouver en priorité la nature de l’ālayavijñāna, comprendre qu’elle est le véritable « maître des lieux » et que, si elle a créé la faculté d’analyser et les éléments qui composent le monde, elle en est néanmoins totalement détachée. L’ālayavijñāna est vide et n’est pas vide. Elle a créé les sept autres vijñāna, elle porte en elle les cinq types de dharma
[45], se définit par trois caractéristiques
[46], par les sept premiers sens et par sept propriétés
[47]. Quelqu’un qui a compris ce qu’est l’ālayavijñāna sait qu’elle stocke tous les fruits karmiques et a le pouvoir de les faire apparaître. Il sait également que tous les dharma subissent un processus de transformation interne de la part du tathagatagarbha, qui les manifeste ensuite à travers l’aspect extérieur des choses et des êtres.
Le corps physique, qui est composé des cinq agrégats, des six vijñāna racines et des six objets des vijñāna, est une création du tathagatagarbha. Les sixième et septième vijñāna peuvent instaurer un état de conscience mentale sans pensée, rompre, après quelques temps, les malentendus au sujet du vrai moi, éliminer ensuite la prétention, la cupidité et la bêtise, et s’appuyer enfin sur le dharma inconditionné afin de parvenir à la libération et permettre, par suite, que l’ālayavijñāna soit en mesure de faire apparaître la sagesse du grand et parfait miroir
[48] puis la sagesse du parfait fonctionnement de toute action et, enfin, l’accession à la bouddhéité. Nous pouvons voir que la pratique n’est possible qu’à travers l’ālayavijñāna. C’est là le véritable bouddhisme mahāyāna et l’école chan authentique.
Lorsque quelqu’un observe l’obscurité au fond de soi, il faut, s’il ne veut pas que la conscience mentale soit saturée de pensées, garder son manas fixement attaché à un objet particulier, afin qu’ainsi la conscience mentale ne se disperse pas. Ceux qui affectionnent cette méthode sont liés au véhicule du śrāvaka. C’est une méthode qui est propre à ce véhicule, non au bouddhisme mahāyāna. Pour ceux qui veulent connaître la sagesse du Bouddha, ils doivent bien ouvrir les yeux et comprendre que la sagesse est autre chose que la méditation du sous-véhicule du śrāvaka.
Supposons que quelqu’un veuille maintenir sa conscience mentale active pour atteindre la libération et n’être plus attaché à rien. Pourtant, s’il veut atteindre ce but, il lui faut détruire manas et s’affranchir de sa conscience mentale, et même là, il n’est pourtant encore qu’un śrāvaka, bien qu’il puisse entrer en nirvāṇa sans reste. Entrant en ce nirvāṇa, il lui sera alors impossible d’être illuminé.
Cette conscience mentale sans attachement, que ce soit celle d’un bouddha ou d’un arhat, reste invariablement le faux moi, le faux cœur. On demeure encore ici au niveau du fonctionnement des sixième et septième vijñāna. Or, ce faux cœur ne peut jamais rien changer au vrai, et lorsqu’un arhat souhaite entrer en nirvāṇa sans reste, il lui faut renoncer au faux cœur. Mais s’il peut rester au sein de la vraie ainsité, qui est un état dans lequel on n’obtient rien, alors seulement nous pouvons dire qu’il est sorti des trois mondes.
Le vrai moi est toujours le vrai moi et le faux moi est toujours le faux moi. Quelle que soit la méthode que nous pratiquions, la conscience mentale continue d’être le faux moi et ne deviendra jamais l’ālayavijñāna. Il est donc vain de regarder au fond de soi dans l’obscurité : nous n’y trouverons pas notre vrai cœur, parce qu’il n’est pas présent dans le faux cœur. Celui qui le fait, il échouera toujours.
Mais lorsque quelqu’un trouve son vrai moi, il comprend qui est le maître et qui sont ces invités. L’erreur de la conscience mentale, qui n’est pas le vrai moi, est de se considérer pourtant comme le maître des lieux. Le vrai moi qui existe de toute éternité est bien loin de posséder l’esprit d’analyse dont dispose la conscience mentale et qui lui permet d’émettre et d’obtenir les différentes fonctions. Le vrai moi lui-même ignore qu’il est le maître. Si l’on s’intéresse au faux moi, nous verrons qu’il s’attache aux différents états où il se trouve, alors que le vrai moi ne s’est jamais attaché à quoi que soi et ignore même cela, comme il ignore qu’il ne gagne ni ne perd rien. Le vrai moi d’une personne illuminée est, tout comme celui de n’importe qui, dépourvu de pensée. Cette personne comprend fort bien alors que la conscience mentale est une invitée qui depuis très longtemps croyait être le maître des lieux. Elle a réalisé, au moment de son illumination, à quel point il était idiot de penser que la conscience mentale était le maître. Cette ignorance est à l’origine de l’existence des six chemins de la réincarnation, auquel échappe le vrai moi qui est toujours libre et qui, en cela, est le seul maître des lieux. Depuis toujours le vrai moi est sans attachement, et jamais n’a gagné et jamais n’a perdu. Le bouddhiste doit fonder sa pratique sur le vrai moi sans s’attacher à quoi que ce soit, sans même chercher à se libérer. Alors seulement il peut comprendre ce qu’est la vie et la mort. Celui qui a compris cette logique peut mettre fin aux malentendus sur le vrai moi, à la prétention, à la cupidité et à la stupidité. En fondant ainsi sa pratique sur le vrai moi, il pratique le bouddhisme zen authentique de prajñā, que seule une personne illuminée est en mesure de comprendre.
Si quelqu’un regardant au fond de soi, dans l’obscurité, espère y trouver son vrai moi, elle n’y réussira jamais. Il faut qu’un maître authentique lui expose la méthode chan, s’il veut parvenir à l’illumination. C’est grâce seulement à cette méthode et aux conseils du maître qui l’utilise qu’il sera illuminé, et nullement grâce à une quelconque observation de soi dans l’obscurité : ce type de méditation est improductif dès lors que l’on recherche l’illumination.
Il arrive parfois que, bien qu’ils aient atteint l’illumination avec l’aide de maîtres authentiques, ils se mettent bientôt à douter de leur état et perdent finalement leur illumination, simplement parce qu’ils n’ont jamais fait, initialement, l’effort de rechercher le vrai moi. Quelques-uns parmi eux vont reprendre leurs anciennes méthodes et porter à l’encontre de leurs anciens maîtres des propos calomnieux, achetant ainsi, par leurs dires, leur billet pour l’enfer. C’est pourquoi les pratiquants doivent être prudents vis-à-vis de la méthode de l’observation de soi dans l’obscurité et ne pas la confondre avec la sagesse de prajñā, afin de ne pas à leur tour diffamer les vrais maîtres.
Tout ce que j’ai évoqué plus haut vise à distinguer le vrai du faux et à expliquer qu’il faut détruire les sept premières vijñāna pour entrer en nirvāṇa. Pour ma part, je m’oppose à cette entrée en nirvāṇa. J’ai pour habitude d’exhorter les gens à chercher le nirvāṇa, mais non à y entrer. Il vaut bien mieux, d’une part, se détourner de ce faux moi qui est attaché à tout et qui, pour exister, a besoin d’autres choses, d’autre part, trouver cela même qui est parfait et complet. Par la suite, il faudra se détacher des dharma pour avoir la possibilité de réaliser la bouddhéité et diffuser alors à tous ceux qui le souhaitent l’enseignement authentique, le préservant ainsi des hérésies.
Comprenez-moi bien : je ne vous encourage pas à entrer en nirvāṇa. C’est bien la raison pour laquelle je vous en rappelle les dangers.
IX. Les dharmas fonctionnels : des fonctions propres au faux moi qu’on ne doit pas confondre avec les fonctions de l’ālayavijñāna
Certains hérétiques au sein du bouddhisme sont récemment venus m’interroger. Ils m’ont rapporté que, selon le maître Yue Xi, les fruits karmiques des êtres illuminés se manifestent tous d’une façon si évidente qu’ils peuvent en avoir un usage immédiat. Et si les choses sont ainsi, l’être illuminé doit être capable de connaître toutes ses vies antérieures. Or, d’après ces hérétiques, si l’être qui se dit illuminé ne détient pas un tel pouvoir, c’est qu’il n’est pas réellement illuminé. Regardons les choses de plus près.
Premièrement, on ne trouve nulle part cette idée dans les trois compilations et les douze tomes qui recensent l’intégralité des sutras. Le Bouddha n’a donc jamais rien affirmé de tel : c’est une pure invention du maître Yue Xi. En dehors de ceux qui sont situés au dernier niveau de bodhisattva et qui sont près d’atteindre la bouddhéité, nul ne maîtrise tous les dharmas.
Lorsque le Bouddha est apparu dans ce monde, il a d’abord pratiqué les méditations permettant d’atteindre les quatre dhyana et les huit samādhi. Il a obtenu ensuite les pouvoirs surnaturels. Lorsqu’il a apaisé le démon en usant de ses pouvoirs et qu’il a atteint l’illumination, il a pu finalement entrer en état de bouddha. Ce n’est donc pas parce qu’il était illuminé qu’il a obtenu des pouvoirs surnaturels. Une personne illuminée, généralement, est simplement une personne qui a compris quel était le vrai chemin de la pratique. Mais ce n’est là encore qu’une entrée dans ce chemin. Il lui reste ensuite à pratiquer pour pouvoir évoluer sur ce chemin.
Le Lankavatara-sutra, le Shurangama Sutra, le Yogacara-bhumi-sastra et le Vijnaptimatrata siddhi-sastra expliquent très clairement ce que nous venons de dire. Dans le Ratnakuta-sutra il est dit que l’illumination se produit lorsque la conscience mentale saisit, perçoit le vrai moi. C’est à partir de cette pensée neuve que commence la sagesse (prajñā). C’est grâce à la concentration que l’on peut obtenir les cinq pouvoirs surnaturels : ces pouvoirs ne sont donc pas le signe que nous avons développé notre sagesse.
Beaucoup de maîtres ont été illuminés mais n’ont jamais eu de pouvoirs surnaturels et n’ont jamais été capables de connaître leurs vies antérieures. C’est le cas de maîtres tels que Xuan sha shi bei, Zhangsha zhaoxian, Wei shan ling you, Zhaozhou cong shen, Yunmen wenyan, Nanquan puyuan, Gui zong zhi chang, Huangbo xi yun, Wu men hui kai, Dahui zonggao… Nous ne pouvons pas attester qu’une personne est illuminée ou non à partir de ses seuls pouvoirs surnaturels.
Par ailleurs, ceux qui, dans le bouddhisme, recherchent un certain état de méditation et s’y attachent en pensant que c’est le vrai moi tiennent un discours hérétique. Selon le maître Yue Xi, lorsque nous sommes illuminés, nous comprenons tout et nous acquérons immédiatement tous les pouvoirs surnaturels. Il faut croire, en ce cas, qu’il possède lui-même les cinq pouvoirs surnaturels. Mais alors pourquoi n’en a-t-il aucun alors qu’il se dit illuminé ?
Secondement, les pouvoirs surnaturels que possèdent certaines personnes, comme l’œil du ciel ou la capacité de connaître leur vie passée, sont des dharma fonctionnels que chacun peut obtenir. En revanche, l’ālayavijñāna est un dharma que nous ne pouvons pas obtenir, mais seulement découvrir. En parlant des cinq types de pouvoirs surnaturels, nous pouvons voir que beaucoup d’êtres, fantômes, hérétiques, bardo et animaux y ont accès car ces pouvoirs existent dans les trois mondes. Toutefois, ils ne nous permettent pas de sortir du cycle des réincarnations. Si nous pensons que l’illumination est le pouvoir même de connaître nos vies antérieures, alors les hérétiques, les fantômes, les bardo et les animaux qui disposent de ce pouvoir sont assurément illuminés !
Pourquoi alors le Bouddha n’a-t-il jamais affirmé que ces êtres ont atteint la sagesse sans commencement ? Pourquoi sont-ils restés des êtres ordinaires, des êtres à qui l’illumination est interdite ? Les grands arhats eux-mêmes, qui disposent pourtant d’un sixième pouvoir surnaturel, pourquoi le Bouddha n’a jamais dit qu’ils étaient illuminés ? Pour quelle raison a-t-il dit qu’ils n’avaient pas trouvé l’ālayavijñāna ?
Troisièmement, les pouvoirs surnaturels et la méditation par le biais de l’imagination sont des dharma qui restent cloisonnés dans les limites de la conscience mentale. Cela ne correspond pas à ce dharma qu’est le vrai cœur et qui est dépourvu de fonctionnalités. Les dharma que nous pouvons obtenir sont liés aux fonctionnalités des sept premières vijñāna.
Dans le Vajrasamadhi sutra, le bodhisattva Xin Wang a dit :
Il n’est pas possible de perdre ou de gagner la nature de bodhi. Bodhi ne possède ni conscience, ni connaissance, ni discernement. Cette absence de discernement indique que sa nature est pure : n’ayant pas la possibilité de discerner, bodhi ne contient aucune saleté. Bodhi n’est pas la parole mais peut toutefois manifester la fonctionnalité de la parole. Il n’est ni réel, ni irréel ; il n’a pas la connaissance, mais dispose malgré tout d’une certaine forme de conscience.
Il faut trouver le vrai moi qui est au-delà de la conscience et qui possède en même temps une certaine forme de conscience. Celui qui l’a trouvé doit alors demeurer dans cet état propre au vrai moi afin que, plus tard, il naisse au samādhi d’ālaya et acquière les pouvoirs surnaturels les plus puissants en ce monde. La nature de ces pouvoirs n’est pas accessible à la compréhension des fantômes, des esprits, des hérétiques, pas plus qu’aux personnes fraîchement illuminées. Imaginons alors quelle compréhension peuvent avoir les personnes qui ne font que s’imaginer être illuminées ! Une personne qui vient d’être illuminée ne peut pas entrer dans ce samādhi. Après son illumination, elle doit pratiquer encore longtemps avant de pouvoir, finalement, y atteindre. En vérité, comment quelqu’un qui se base en permanence sur le vrai moi peut-il pratiquer le samādhi d’ālaya ? Cette question, nous n’y répondrons pas dans ce livre, nous n’en dirons rien explicitement car les êtres ordinaires n’ont pas encore les dispositions nécessaires à la compréhension d’un tel sujet. Il s’agit d’un état propre aux bodhisattva qui ont accédé au minimum au premier bhumi. Il est donc bien inutile de l’expliquer même aux érudits orgueilleux.
Quatrièmement, la plupart du temps, les pouvoirs surnaturels sont des dharma transitoires inhérents aux trois mondes. Il est donc possible de les obtenir. Ces dharma ne sont pas à proprement parler réels et ne nous permettent pas de sortir du cycle de la vie et de la mort. A ce sujet, le Bouddha a dit dans le Mahāparinirvāṇa Sūtra :
Un saint homme, grâce aux trente-sept types de pratiques, va bénéficier de la tranquillité des quatre dhyana et des pouvoirs surnaturels, pourtant il ne sera toujours pas libéré. Lorsqu’il aura lavé toutes ses souillures karmiques et se sera libéré de la vie et de la mort, alors seulement il sera permis de dire qu’il est libéré.
Dans certains autres sutras, le Bouddha a dit que la sagesse doit aider les gens qui désirent apprendre le vrai bouddhisme. D’un autre côté, les pouvoirs surnaturels doivent aider les personnes ordinaires. Certaines personnes pensent qu’il suffit d’avoir le pouvoir de connaître ses vies passées pour être illuminé. Ces gens, très ordinaires au demeurant, ne sont en quête que de dharmas fonctionnels : ils ne cherchent nullement la sagesse qui ouvre la voie à l’illumination. Ils ne connaissent pas les fondements du bouddhisme et n’ont pas réuni les conditions nécessaires à leur illumination. Si un maître leur montre précisément que l’ālayavijñāna est le vrai cœur, ils ne le croiront pas et diffameront le vrai dharma, ce qui leur coûtera soixante-dix kalpa en enfer.
Cinquièmement, si nous avons acquis un dharma, c’est que ce dharma n’est pas la véritable illumination. Au chapitre XX du sutra Fu zi heji jing, le Bouddha adresse la parole à Sariputra :
Aujourd’hui, je te raconte la merveilleuse réalité du samādhi. Si les bodhisattva entendent ce dharma, ils peuvent très vite être illuminés et, se libérant de l’océan de la vie et de la mort, arriver ainsi de « l’autre côté » de l’océan. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que ce merveilleux samādhi montre clairement que la nature de tous les dharma n’est ni réelle, ni irréelle. Les pudgala
[49] n’ont pas obtenu le vrai dharma. S’ils croient l’avoir obtenu, cela signifie qu’ils ne sont pas illuminés.
Il n’a donc pas accédé à l’illumination celui qui pense l’avoir acquise : il est encore prisonnier de sa conscience mentale.
Il ne faut pas employer la conscience mentale en vue d’acquérir certains dharma fonctionnels. Il faut l’employer surtout pour nettoyer les graines karmiques souillées de l’ālayavijñāna. Il faut également lever l’ignorance qui concerne l’origine des différentes pensées et purifier ces dernières, afin que la conscience mentale soit propre et apaisée et qu’elle puisse finalement bénéficier des mérites que procure le dharma sans fonctionnement. Il faut éviter de chercher quelque chose que l’on puisse obtenir, puisqu’il s’agit simplement d’états créés par la conscience mentale.
En outre, une fois illuminé, il est nécessaire de s’appuyer sur ce dharma qu’on ne peut posséder et qui ne n’est pas imaginable, pour poursuivre sa pratique et éliminer les cinq types d’obstacles : l’avidité, la colère, la bêtise, l’orgueil et le doute.
Seules, les personnes qui ont accédé au dharma sans fonctionnement, qu’on ne peut posséder et qui est sans image, sont en mesure d’obtenir les mérites qui vont au-delà du premier bhumi de bodhisattva.
Dans le premier chapitre du Kusala mula samgraha sutra, le Bouddha a dit :
Si les êtres sensibles n’acceptent pas l’idée que tous les dharmas sont des illusions et que l’apparence extérieure de ces dharma n’est pas réelle, elles ne seront jamais disciples du Bouddha et le Bouddha ne sera jamais leur maître.
Il est impératif de s’éloigner de la quête de ces dharma qui peuvent être obtenus et éviter ainsi le piège qui consiste à rechercher dans un espace vide le dharma qui ne peut être obtenu. Alors seulement il sera possible de découvrir le vrai moi et atteindre à l’illumination. Dans le quatrième chapitre du Lankavatara-sutra, le Bouddha a expliqué le fonctionnement du dharma :
Mahamati, ainsi restent les bodhisattvas mahasa dans la vraie ainsité : ils sont entrés dans un état que nul ne peut obtenir. Ainsi ont-ils atteint le premier bhumi, celui de la très-grande joie.
Les pratiquants doivent s’éloigner des dharmas fonctionnels, de tous les dharma qu’ils peuvent obtenir. S’ils ne le font pas, mille bouddhas pourraient venir leur expliquer cela, ils ne trouveraient jamais le courage de comprendre les propos du Bouddha.
Au chapitre LXXVII du Maha Ratnakuṭa sutra, l’arhat Purna Maitrayaniputra s’est adressé au Bouddha :
« Vénérable maître, quels mauvais karmas ai-je commis pour que, durant tout un kalpa, j’aie eu puis perdu anuttara samyak sambodhi
[50].
– Purna Maitrayaniputra, répondit le Bouddha, cela vient, d’une part, de ce que tu as suivi de mauvais guides qui t’ont éloigné de la vérité, d’autre part, de ce que tu n’as pas propagé le vrai enseignement que tu avais reçu. C’est pour cette raison que tu as perdu l’anuttara samyak sambodhi.
Dans le cas où certaines personnes vous enseignent comment travailler les dharmas fonctionnels afin d’atteindre les différentes étapes de la pratique, et qu’elles vous affirment que c’est là la pratique de la sagesse ; si elles pensent que c’est parce que ces différentes étapes permettent d’obtenir un dharma fonctionnel que vous êtes illuminés, alors elles sont de mauvais guides. Le bodhisattva dont l’illumination est toute récente doit s’empresser de s’éloigner de tous ces faux maîtres pour ne pas commettre les mêmes erreurs que Purna Maitrayaniputra.
X. « L’être illuminé qui entre en terre de Bouddha et voit la nature de Bouddha devient un Bouddha » : un discours qui facilite la compréhension, mais qui est incomplet
Le sixième maître a dit : « Une personne qui ne connaît pas son tathagatagarbha est un être sensible tout à fait ordinaire. Mais si elle a trouvé son tathagatagarbha, c’est un bouddha. Une personne qui est illuminée est devenue un bouddha. »
Il dit encore : « Une personne qui connaît son vrai moi, à l’instant d’être illuminée, accoste sur la terre de Bouddha. »
Il dit encore : « J’aimerais que beaucoup de gens entendent mon enseignement et qu’ils soient illuminés et atteignent alors le niveau de bouddha. »
Liu zu tan jing
Actuellement, de nombreux individus sont désorientés et croient qu’en atteignant l’illumination ils deviendront des bouddhas. Ils ignorent que la finalité du discours du sixième maître est de faciliter la compréhension de l’enseignement.
Le maître Yue Xi dit qu’au moment de l’illumination toutes les graines de sagesse éclosent : pourtant il s’agit là d’une vision erronée. Mais les gens ne savent pas que les explications du Liu zu tan jing ne vont pas plus loin que la capacité de voir la nature de bouddha. Ils ne comprennent pas davantage comment, à partir de la faculté de voir la nature de bouddha, il est possible d’entrer ensuite dans la terre de bouddha, car ce sutra ne donne aucune information sur ce sujet. En réalité, l’expression « atteindre la terre de bouddha » est purement symbolique et n’a pas d’autre fonction que d’aider les gens à mieux appréhender le sens de l’enseignement : il ne s’agit pas vraiment du Bouddha. En voici la preuve dans le chapitre XX du Fuzi heji jing :
Le Bouddha dit : « Ô grand roi Suddhodana, que signifie l’enseignement du Bouddha ? Il signifie que tous les dharmas sont l’enseignement du Bouddha. »
Lorsque Suddhodana eut écouté ces paroles, il s’adressa au Bouddha : « Ô vénérable du Ciel, si tous les dharmas sont l’enseignement du Bouddha, alors il faut que tous les êtres sensibles soient des bouddhas. »
C’est alors que le Bouddha répondit à Suddhodana : « Ô grand roi, les êtres sensibles qui ne se sont pas égarés et qui ont une vision juste, on dit que ce sont des bouddhas. Ô grand roi, lorsque je parle de bouddha, c’est un bouddha symbolique dont je parle. Ô grand roi, lorsque je vous parle de bouddha, je parle de ceux qui ont trouvé leur vraie ainsité. Ces êtres illuminées ont vu le vrai visage du monde du dharma. En revanche, il convient, pour tous les autres êtres, d’expliquer ce dharma d’une manière plus simple. Toutefois, un être illuminé ne peut l’expliquer d’une manière aussi simple.
Dans le Liu zu tan jing, il est dit qu’à peine illuminé on entre dans la terre de bouddha. Cela signifie la même chose que ce qu’on lit dans le Fuzi heji jing : c’est une explication qui doit faciliter la compréhension pour les personnes ordinaires. Pour autant, une personne illuminée ne vous en parlera pas de cette manière-là. C’est la raison pour laquelle le sixième maître affirme que, lorsqu’on est illuminé on atteint la bouddhéité : de fait, il ne s’agit évidemment pas du vrai bouddha, tout simplement parce que le cinquième maître lui avait permis de voir la nature de la vraie ainsité. Néanmoins, le sixième maître n’est pas pour autant devenu un bouddha.
Dans le Liu zu tan jing, le sixième maître a précisé également ceci :
Les personnes ordinaires et celles qui manquent de sagesse n’ont pas connaissance de leur propre ainsité, si bien qu’elles ne sont pas conscientes que la terre pure est dans leur propre corps. Elles vont alors dans une direction, puis dans une autre. Elles ignorent que, pour les êtres illuminés, cela revient au même qu’ils aillent à tel endroit ou à tel autre.
Si les choses que le dit le sixième maître, il nous est donc loisible de nier la terre pure dite de Vaidūryanirbhāsā. Et si les choses sont ainsi, ne peut-on pas nier également la terre pure d’Amitabha bouddha ?
Une personne illuminée voit la force tranquille qui existe depuis toujours en elle. Elle voit que la terre pure en elle est lumineuse et dépourvue de souillures. On dit d’une telle personne qu’elle a vu la nature de bouddha et qu’elle est devenue elle-même un bouddha. On peut dire également que cette terre est emplie de joie.
En songeant à cette terre emplie de joie, d’êtres sensibles et de saints, a-t-on le droit de nier en existence ?
Celui qui a la grande compassion, c’est le bodhisattva Avalokitesvara. Celui qui est pur, c’est le Bouddha. Celui qui pratique la générosité, c’est Mahastamaprapta. Celui qui possède l’égalité, c’est Amitabha Bouddha.
Si nous nous appuyons sur ces paroles, peut-on nier la présence d’Avalokitesvara, de Mahastamaprapta, du Bouddha Sakyamuni ? Peut-on dire que tous ces êtres n’existent pas en notre monde ?
A notre époque, les gens ne comprennent pas le vrai sens de l’enseignement. Ils considèrent qu’atteindre l’illumination, c’est devenir un bouddha. Ils utilisent les explications du sixième maître pour attester de l’authenticité de la vision du maître Yue Xi et, finalement, en viennent tous à nier l’enseignement du Bouddha.
J’aimerais poser certaines questions à ceux qui adhèrent à ce type de discours et se figurent être illuminés : si vous êtes illuminés et que vous êtes donc des bouddhas, pouvez-vous me dire si désormais vous disposez de toutes les fonctionnalités propres à toutes les graines karmiques ? Avez-vous atteint les sagesses du grand miroir et de la grande réalisation ? Possédez-vous les quatre bases des pouvoirs surnaturelles ? Avez-vous les quatre absences de peur ? Avez-vous accédé aux quatre manières d’expliquer le dharma ?
Du maître Kasyapa au sixième maître, ils ont tous atteint l’illumination ! Pourquoi donc ne sont-ils pas devenus des bouddhas, puisqu’ils sont illuminés ? Et pourquoi le Bouddha affirme-t-il que le prochain Bouddha sera le Bouddha Maitreya ?
Puisque aucun de ces maîtres n’est illuminé, pourquoi tous transmettent-ils leur bol à leur disciple afin de témoigner qu’ils sont bien illuminés ? Le premier maître chinois du bouddhisme chan fut Bodhidharma, le second, Hue Ke. Mais Hue Ke fut-il vraiment illuminé ? Si vous pensez qu’il n’était pas illuminé, pourquoi Bodhidharma lui a-t-il remis son bol, et pourquoi le Lankavatara Sutra a-t-il attesté de l’illumination de Hue Ke ? Quant au sixième maître Hui Neng, s’il n’était pas illuminé, pourquoi donc a-t-il hérité du bol de Bodhidharma ? Et comment peut-il expliquer le Liu zu tan jing ? Et si tous ces êtres sont illuminés, pourquoi ne sont-ils pas des bouddhas ? Ces six maîtres, s’ils sont des bouddhas, comment expliquer que le prochain bouddha soit Maitreya ? Le Bouddha aurait-il donc menti ? Je vous le demande : le Bouddha est-il capable de telles fabulations ?
Si vous pensez être illuminés et avoir atteint la bouddhéité, êtes-vous capables de répondre à mes questions ? Si vous n’y parvenez pas, cela signifie que vous n’êtes pas illuminés, et si vous n’êtes pas illuminés, abstenez-vous d’interpréter les enseignements des maîtres illuminés, car, n’ayant pas encore le niveau nécessaire pour cela, vous le feriez à partir de vos préjugés. Vous diffameriez l’enseignement du Bouddha, vous le nieriez et la conséquence de tout ceci ne serait ni plus ni moins qu’un séjour en enfer !
Moi, Xiao PingS, lorsque je pense à vous qui croyez seulement être illuminés, j’ai peur pour vous. Cela me préoccupe beaucoup. Il est préférable que vous réfléchissiez : ceci est dans votre propre intérêt. Ainsi ferez-vous preuve d’intelligence.
XI. De ceux qui considèrent la méditation comme étant le bouddhisme chan
Depuis des milliers d’années il y a toujours eu des guides spirituels pour dire que, une fois atteint un certain niveau de méditation, l’illumination est accessible. Nous sommes aujourd’hui à la fin de la période de l’enseignement du Bouddha : ce type de discours semble beaucoup plus fréquent de nos jours qu’il ne l’était auparavant ; c’est presque devenu banal. Beaucoup d’individus se croient illuminés, s’identifient à de grands sages, recherchent différents états de méditation, qu’ils confondent ensuite avec la véritable illumination. Ils diffament alors les maîtres véritablement illuminés, se moquent de ces guides qui, finalement, n’ont rien obtenu et sont hors de tout état de méditation, alors que ces faux maîtres sont incapables de concevoir ce qu’est la véritable sagesse sans commencement.
Ces usurpateurs vont arguer du fait que certaines personnes n’ont pas atteint tel ou tel état de méditation pour tenter de prouver qu’elles ne sont pas illuminées. En s’opposant au principe qui fonde le bouddhisme authentique, ils ont commis un tel péché que l’enfer seul en peut être la conséquence. Au lieu des bonnes graines karmiques qu’ils se figurent avoir produites, ce sont des graines karmiques infernales qu’ils ont formées. Ces gens-là m’inspirent beaucoup de pitié.
C’est avec une profonde compassion que je souhaite à présent expliquer à tous mes lecteurs quels sont ces différents états de méditation, afin qu’ils puissent observer, réfléchir et comparer ces états de méditation avec ce qu’en disent les sutras. Ainsi pourront-ils comprendre les erreurs qui ont été commises par ces faux maîtres. Ils comprendront également que la méditation n’est pas le bouddhisme chan et en enseigner à d’autres personnes le sens réel. Ainsi encore les aideront-ils à pousser leur recherche de leur vrai moi et les éloigneront-ils des rivages infernaux. Si ces gens atteignent l’illumination en cette vie, ils pourront s’écarter des trois mauvais chemins auxquels invite la réincarnation. Ils pourront même, dans le « pire » des cas, monter au ciel à sept reprises et atteindre finalement l’illumination. Ce n’est pas bien, tout ça ?
Passons à présent à l’exposé des dix sortes de méditation auxquelles certaines personnes abusées attribuent le pouvoir d’accéder à leur vrai moi.
1. La méditation du cœur dispersé s’utilise dans la vie quotidienne, quand par exemple vous citez les sutras ou les mantras. Ce cœur, qui est capable d’observer, est confondu avec le vrai moi.
2. La méditation du cœur que l’on peut fixer. Certains pratiquants exploitent cette méthode, par exemple en étant attentifs à leur respiration, en entrant en nostalgie de bouddha, en citant le nom du Bouddha, en observant leurs pensées ou toute autre sorte d’objet leur permettant d’y fixer leur cœur. Ces gens croient que ce cœur ainsi immobile est leur vrai moi.
3. La méditation du cœur tranquille doué d’introspection. Selon ses pratiquants, ce cœur, lorsqu’il est silencieux, dépourvu de pensée et capable pourtant d’observer en soi-même cet état paisible où il est, est le vrai moi. Cependant, si, dans cet état de méditation, nous sommes capables d’observer que nous n’avons plus de pensée, c’est que notre conscience mentale est encore active. Ce n’est donc pas le vrai moi. Qui plus est, dans cet état même il est encore possible d’identifier plus de dix états différents. Ce ne sont que des illusions, et si vous vous y attachez, vous risquez de vous perdre.
4. La méditation du cœur qui remplit l’espace vide. Elle fait croire à ses pratiquants que, lorsqu’ils n’ont aucune pensée et que leur concentration commence de grandir, leur vrai moi remplit infiniment l’espace vide. Mais, c’est là encore un dharma qu’il est possible d’obtenir, ce n’est rien de plus qu’un état de méditation. Ce n’est donc pas le vrai moi.
5. Le corps et l’esprit unifiés, l’extérieur et l’intérieur ne font qu’un, de même que l’espace et le temps. Cette méditation existe dans le monde du désir et prive son pratiquant de sa conscience mentale. En vérité, cet état est une forme de pré-dhyana. Ce n’est donc pas la véritable illumination.
6. Le pratiquant accède au premier dhyana après avoir passé par le pré-dhyana que nous venons d’évoquer. Durant cette méditation il perçoit dans son corps une sensation très agréable, signe qu’il a accédé au premier dhyana. Mais ce n’est pas là la véritable illumination. Nous pouvons, au sujet de cette méditation, distinguer quatre étapes : la persévérance dans la méditation ; le désir de retenir en soi cette sensation plaisante ; la compréhension de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ; la sortie de cet état méditatif. Généralement, la sensation naît au niveau de la tête. Or, si elle naît, elle mourra, ce qui ne correspond donc pas au vrai moi. C’est un état transitoire duquel la plupart des gens sortiront très vite.
7. La méditation qui procure la sensation que l’espace tout entier est anéanti. C’est une sensation accessible lors du premier dhyana. Durant cette méditation, le pratiquant se laisse happer par l’impression que l’espace a disparu et que son propre corps lui-même a disparu. Il perçoit alors le monde comme s’il s’agissait d’un nuage qui, se formant très vite, a tôt fait de disparaître ensuite. Cette sensation – au demeurant très agréable – n’est donc pas non plus l’illumination. Ceux qui méditent ne doivent pas s’y attacher et doivent poursuivre leur pratique jusqu’à finalement entrer dans le deuxième dhyana.
8. La méditation qui procure la sensation que la Terre s’effondre. Tout ce qui environne le pratiquant lui devient invisible. On est encore là dans le premier dhyana. Lorsqu’il s’approche du deuxième dhyana, il entre dans une forme de pré-samādhi, laquelle est une méditation qui permet de sortir du monde du désir. Cette sensation est pour lui le signe de la fin du monde du désir. Toutefois, c’est encore un état lié au premier dhyana. Durant cette méditation, de très fines particules se forment dans le corps du pratiquant et y provoquent des sensations particulièrement agréables et qui durent très longtemps avant de disparaître : c’est une sensation différente de celles que nous connaissons habituellement et qui s’effacent très vite.
9. Le samādhi qui prive de la conscience mentale mais qui préserve la capacité d’observer. Durant cette méditation, le pratiquant ne s’attache pas à la sensation que nous venons de mentionner et entre dans un état de concentration plus approfondi qui, dans le même temps, lui permet de dépasser les obstacles inhérents à sa propre personnalité. Dans cette méditation, le monde extérieur lui est imperceptible, mais il continue de pouvoir observer ce que son cœur manifeste : ceci est un pré-samādhi qui précède l’entrée dans le deuxième dhyana.
10. Le samādhi sans conscience ni observation. Celui qui peut demeurer longtemps dans le pré- samādhi que nous venons d’exposer juste avant (sans conscience mais avec la capacité d’observer), s’il ne fait aucun usage de sa faculté d’observation, il peut entrer dans le deuxième dhyana. Même s’il ne peut plus ni observer ni être conscient et qu’il semble n’avoir plus aucun attachement à quoi que ce soit, le pratiquant n’est pourtant pas encore illuminé : il demeure toujours dans un dharma fonctionnel.
Ces dix méditations que nous avons évoquées sont des expériences que j’ai vécues personnellement. Ce sont des dharmas fonctionnels que l’on rencontre dans les différents samādhi, que l’on peut obtenir : ce n’est ni la véritable sagesse (prajñā) ni celle que nous pouvons obtenir d’un maître chan. De fait, ce type de méditation ne procure aucune sagesse. Ils se trompent donc, les gens qui ont atteint un ou plusieurs types de dhyana et croient être illuminés, puisque ces méditations ne correspondent pas à ce qu’est le bouddhisme chan. Si quelqu’un pense être illuminé ou être un saint parce qu’il a traversé ces différents samādhi, il peut créer des graines karmiques suffisamment négatives pour que la conséquence soit l’enfer.
Il existe actuellement un nombre de maîtres considérable qui pensent que ce genre de méditations appartient au bouddhisme chan, ignorant que le chan, très différent de ces médiations, est en fait la quête de l’illumination qui, à son tour, permet d’accéder à la sagesse (prajñā).
Cette sagesse est un état que nous ne pouvons pas obtenir. C’est une chose bien différente des états méditatifs que nous avons décrits et qui est destinée à ceux qui veulent comprendre le sens de l’enseignement du Bouddha.
Il existe différents niveaux de samādhi qu’il est toujours possible d’obtenir et qui ont des dharmas en commun avec les hérétiques. Pour nous guider hors du cycle des réincarnations, prajñā nous est indispensable. Nous allons voir en plusieurs points pourquoi les samadhi ne constituent pas l’authentique sagesse.
Les différents samādhi, qui dépendent tous les uns des autres, permettent assurément d’atteindre différents niveaux de conscience. En outre, ce sont des états dans lesquels nous pouvons demeurer durablement. Il est également possible d’entrer dans ces états et, donc, d’en sortir. Par ailleurs, il est possible d’interrompre ces états. Quelqu’un, par exemple, peut entrer en méditation, puis en sortir en étant dans un autre état de méditation. Avant de rentrer dans un état de méditation, il faut d’abord qu’il en ait atteint un autre, puis qu’il l’abandonne afin de pouvoir connaître l’état de méditation suivant. S’il veut acquérir ensuite un nouvel état de méditation, il doit quitter le précédent état. Tant que cet individu est en vie, il est tributaire d’un certain état de conscience, mais une fois qu’il est décédé, il est contraint de l’abandonner. Alors, selon son karma, il renaîtra dans un autre état de conscience. Cela nous montre que les différents états de méditation sont bien distincts les uns des autres et qu’il nous est loisible d’y entrer et d’en sortir.
Le Bouddha a dit que « les différents états créés par la conscience mentale dépendent profondément des attachements karmiques de manas. » Il est possible, concernant ces différents états, d’y entrer et d’en sortir, de s’y appuyer et d’y rester. Un jour pourtant ils disparaîtront à cause même de la disparition du corps physique et des différents objets des vijñāna.
L’existence même des différents états de la conscience mentale exige la mobilisation conjuguée des six vijñāna racines et des six objets des vijñāna. Ces états, qui sont transitoires et mesurables en termes de temps, peuvent aussi, par la cessation de l’un et la naissance de l’autre, se succéder, voire être interrompus par un état sans conscience mentale.
Cependant, la sixième vijñāna, la conscience mentale, est née du contact des six objets des vijñāna avec les six vijñāna racines, lesquels sont la création de l’ālayavijñāna. A la mort d’un être sensible, manas seul continuera d’exister : les cinq autres vijñāna racines seront détruites. Manas ne sera donc plus en mesure d’entrer en contact avec les cinq objets de vijñāna, si bien qu’elle ne pourra pas former la conscience mentale. Si la conscience mentale est détruite, tous les états de méditation que nous venons d’exposer, tous les pouvoirs surnaturels ont disparu également : la disparition de la conscience mentale en est la cause. Seules restent manas et l’ālayavijñāna. Une seule graine d’ignorance suffit à former une nouvelle pensée qui va à son tour développer un attachement, lequel va créer de nouveau la vie et exiger en conséquence une nouvelle réincarnation.
Ceux qui ont commis au moins l’un des cinq crimes odieux ou des dix karmas graves, qui ont diffamé l’enseignement n’auront même pas le temps, au moment de mourir, d’avoir des regrets : ils seront directement précipités en enfer. Ils ne disposeront d’aucun bardo et se réincarneront donc directement en enfer.
Ceux en revanche qui ont accompli de bonnes actions et y ont été attachés, s’étant complu sans cesse dans le souvenir de leurs actes, ils seront accueillis par les êtres célestes puis renaîtront dans l’un des six cieux du monde du désir.
Par contre, ceux qui ne font pas ce qu’ils disent ou qui ergotent pour éviter de reconnaître leurs torts, acquerront à leur mort un bardo, mais leurs graines karmiques reviendront vers eux comme le vent tourne en sens contraire. A cause de leur honte, ces gens feront le nécessaire pour que nul ne découvre leurs fautes. Dès lors qu’ils auront trouvé un endroit où se cacher, ils se rendront compte qu’ils se sont réincarnés en des serpents venimeux.
Pour les personnes qui respectent les cinq préceptes, qui ne mentent pas et ne causent envers autrui aucun tort, ils auront à leur mort un bardo et, à l’instant de voir leurs futurs parents en train de s’accoupler, ils formeront un attachement à l’endroit de cet acte sexuel et entreront dans le ventre de la mère qu’ils auront élue afin de devenir plus tard un nouvel être humain.
Pour les gens illuminés qui ont délié les cinq nœuds supérieurs, ce sont là des bodhisattvas qui, ne souhaitant pas entrer en nirvāṇa sans reste, seront autorisés à accéder à l’akanisthah – le monde de la forme le plus élevé – ou renaître n’importe où sur la terre de bouddha, assis sur une fleur de lotus.
Pour ceux qui n’ont pas tout à fait délié les cinq nœuds supérieurs, s’ils ne veulent pas s’élever dans le ciel ou se rendre en terre de bouddha, c’est certainement, à leur mort, leur volonté ou leurs affinités karmiques avec d’autres choses ou êtres qui leur permettront d’obtenir un bardo. En effet, ils n’ont pas encore rompu l’ignorance du commencement et seront donc dans la nécessité de se réincarner.
Pourquoi est-il inévitable de se réincarner ? Cela vient du fait que nous n’avons pas encore mis un terme à l’ignorance du principe sans commencement. Le bardo ne dispose pas de la conscience mentale que nous avons de notre vivant, si bien que manas est seule habilitée à faire des choix. Mais puisque manas ne collabore plus avec la conscience mentale, elle ne peut plus analyser, et discerner observer ce qu’elle perçoit. Le bardo ne peut désormais recourir qu’à une conscience mentale dont le potentiel est cependant très faible
[51]. Cette conscience mentale ne correspond nullement à celle dont nous bénéficions de notre vivant. Elle n’en a pas le discernement. Quant à manas, présente dans le bardo, elle va agir et réagir en fonction des habitudes qu’elle avait prises dans sa dernière existence. C’est alors en fonction de l’ignorance concernant l’origine de chaque pensée qu’elle sera orientée vers telle ou telle réincarnation.
Des chamans ou des médiums disent souvent que les morts avec qui ils communiquent sont d’une grande honnêteté. La raison en est qu’ils sont dépossédés de la conscience mentale qu’ils avaient de leur vivant : ne pouvant ni discerner ni analyser, ils ne réagiront que suivant les habitudes qu’ils ont acquises avant de mourir.
Ces derniers temps, il est fréquemment arrivé que des hérétiques se revendiquant du bouddhisme aient affirmé que, une fois l’illumination atteinte, la conscience mentale du pratiquant devient absolument pure. Il est alors évident à leurs yeux que le pratiquant, à sa mort, se rendra dans un lieu tout aussi pur. Pour eux, si telle n’était pas la vérité, où pourrait donc bien aller le défunt ?
Les gens qui partagent ces idées ne sont pas illuminés. Ils ne comprennent pas le bouddhisme. Si quelqu’un n’a pas mis fin à l’ignorance au sujet de l’origine de chaque pensée, il lui apparaitra certainement à sa mort quelque chose pour le guider. Il n’aura en effet nul besoin de chercher un nouveau guide : ce qui va le guider, ce sont les différentes souffrances nées du fait d’ignorer l’origine de chaque pensée. S’il ne s’est pas totalement libéré de cette ignorance, il pourra bien avoir atteint les quatre dhyana et les huit samādhi, il aura malgré tout besoin, à sa mort, d’un guide. Et ce guide, ce seront les karmas eux-mêmes, c’est-à-dire des dharmas fonctionnels présents dans les trois mondes, des dharmas auxquels on s’attache et qu’il est possible d’obtenir. Ce n’est bien entendu pas cela qui nous permettra de sortir du cycle des réincarnations.
Au chapitre 85 du Mahā ratnakūṭa sūtra, on trouve sur ce sujet le passage suivant :
Le corps du dharma ne se situe pas dans le monde sensible. En vérité, nous ne pouvons pas nous appuyer sur lui pour nous guider. Ainsi est le corps du dharma : ce n’est pas avec les cinq yeux
[52] que nous pouvons le voir.
Pourtant, le véritable guide est celui-là même qui nous permet de nous libérer de notre ignorance concernant l’origine de chaque pensée. Mais c’est un guide dépourvu d’une quelconque forme que nous puissions obtenir. C’est lui, c’est ce « sans forme » qui est le seul véritable guide. Il ne possède aucune des six entrées, en sorte qu’il nous est impossible de l’acquérir.
Certains grands arhat qui ont accès au nirvāṇa ou, au moins, au huitième bhumi de bodhisattva, sont en vérité dans des « états sans état ». Cet état sans état, nous l’appelons, pour rendre les choses plus faciles, nirvāṇa. Il s’agit de quelque chose de vide, qui ne dépend de rien, pas même de la vie et de la mort.
Ceux qui peuvent entrer en nirvāṇa ont dû se détacher totalement des sixième et septième vijñāna. A partir de là, ces pratiquants ont cessé d’être tributaires des différents états inhérents à ces vijñāna et ont pu s’échapper de la conscience mentale, détruire ces deux vijñāna afin d’entrer en nirvāṇa et sortir du cycle des réincarnations.
Le bouddhisme aujourd’hui est victime d’un grand nombre d’hérétiques qui ne savent pas comment sortir du cycle des réincarnations. Ils ont remué ciel et terre pour convaincre les gens et leur ont demandé d’accéder à un état pur et propre qui puisse leur servir de guide. Étant de brillants orateurs, ils ont su persuader beaucoup de personnes de les suivre. Ils se croient capables d’entrer en nirvāṇa en s’appuyant sur la conscience mentale. Telle est la vision erronée qu’ils entretiennent au sujet du vrai moi, du principe même de l’être, des êtres sensibles et de la vie. C’est une vision erronée que nous pouvons rencontrer chez des personnes ordinaires.
S’il existe un état sur lequel nous puissions nous appuyer et nous fixer, il ne peut s’agir que d’un état créé par manas et la conscience mentale. Tant que n’ont pas été dépassées manas et la conscience mentale, il est impossible de sortir des trois mondes et du cycle des réincarnations. Croire le contraire, c’est être semblable à un idiot perdu dans un rêve. C’est pourtant le discours que tiennent les hérétiques, discours de personnes qui n’ont aucune compréhension du bouddhisme. Pour celles en revanche qui souhaitent sortir du cycle des réincarnations, elles doivent se détacher de leurs sixième et septième vijñāna afin que ne reste plus que leur ālayavijñāna. Ces personnes ne vont alors plus renaître, puisque leurs sixième et septième vijñāna auront disparu et qu’elles n’auront plus non plus de bardo. Puisque l’ālayavijñāna n’est pas capable d’exercer le moindre discernement, elle n’a pas davantage le moindre attachement ni le moindre détachement, pas plus qu’elle n’a de connaissance, de conscience, d’état qui lui soit propre, de pensée ou de ressenti. En conséquence, elle ne crée aucune pensée, ce qui, en dernière analyse, fait d’elle le véritable nirvāṇa.
Cependant, rien ne peut prouver l’existence de ce nirvāṇa. On n’emploie ce terme que pour en rendre la compréhension plus accessible aux gens ordinaires. Si, en vérité, le nirvāṇa n’est pas un état et que, donc, nul n’y peut entrer et que nul n’en peut sortir, on dira néanmoins, pour aider les gens à comprendre, que l’on entre en nirvāṇa. Le nirvāṇa est sans état, il ne dépend de rien et on ne peut l’obtenir. Partant, il est légitime de dire que c’est le véritable vide. Le terme de « nirvāṇa » est là seulement pour expliquer au commun mortel ce qu’est ce véritable vide.
En revanche, pour ceux qui veulent sincèrement « entrer en nirvāṇa », il leur faut se libérer de l’ignorance qui est à l’origine de la pensée. Celui qui, n’ayant pas mis un terme à cette ignorance, souhaite entrer en nirvāṇa à travers les sixième et septième vijñāna, est toujours ignorant. En effet, si ces deux vijñāna existent encore, le pratiquant continue alors fatalement d’évoluer à travers différents états de conscience, donc se situe hors du véritable nirvāṇa. A cause de la présence de ces deux vijñāna, il continue d’évoluer et de rester attaché à son ego. Cet attachement interdit son accès au nirvāṇa. C’est pourquoi la destruction de l’ego peut seule ouvrir la porte du nirvāṇa.
Au reste, quiconque a atteint le nirvāṇa ne l’a, en vérité, jamais obtenu. Mais si quelqu’un, ne pouvant se libérer de ce moi conscient et capable de choisir, soutient que l’accès au nirvāṇa et la libération du cycle des réincarnations sont impossibles sans la conscience mentale, on peut affirmer que cette personne n’a pas mis un terme à ses malentendus au sujet du moi, qu’elle est encore attachée à tout chose qui peut être obtenue. Cette personne est encore trompée par des illusions relatives à l’individualité, à tous les êtres sensibles et à la vie. C’est un être très ordinaire qui n’a toujours pas lever le voile de l’illusion au sujet du moi, en sorte qu’il éprouve toujours le désir de rester dans chacun des trois mondes – le monde du désir, le monde de la forme et le monde sans forme. Cet être est un menteur s’il raconte à tout un chacun qu’il peut sortir du cycle des réincarnations, et viole ainsi le précepte bouddhiste qui interdit le mensonge et la diffamation.
Ces personnes ignorent la différence qu’il y a entre la pratique de la méditation et la pratique de la sagesse. Pensant que la première est supérieure à la seconde, elles se consacrent exclusivement à la méditation et rejettent la pratique de la sagesse. Par là même, elles ignorent la sagesse du dharma qui ne peut être obtenu et, ce faisant, contredisent et diffament l’enseignement du Bouddha. Elles se figurent que les différents états auxquels elles accèdent grâce à la méditation sont le fruit de la sagesse la plus élevée du bouddhisme chan. Elles ignorent qu’elles ont emprunté un chemin qui n’est pas celui du vrai bouddhisme. Mais, surtout, elles s’évertuent à conduire dans ce chemin d’autres individus. Tout ceci fait qu’elles vont fatalement demeurer prisonnières du cycle des réincarnations. Les personnes ignorantes qui se complaisent dans les états de méditations dont nous venons de parler et qui sont très attachées aux dharmas fonctionnels, vont écouter les enseignements des moines hérétiques.
Tous les maîtres ont dit que, si nous interprétons littéralement les sutras, le Bouddha du passé, le Bouddha du présent et le Bouddha du futur protesteront tous trois. En outre, si un mot est ajouté aux sutras et en déforme le sens, il est d’origine démoniaque.
Les pratiquants sages doivent étudier en profondeur les sutras et être capables de déterminer ce qui est juste et ce qui est injuste. Il leur faut s’abstenir d’écouter les voix hérétiques qui ne savent pas encore ce qu’est le vrai moi et qui, pourtant, diffament en prétendant avoir atteint l’illumination ; s’abstenir d’écouter ces hommes qui poursuivent un dharma tributaire des autres dharmas, un dharma qu’il est possible d’obtenir et qui ouvre la voie à différents états de méditation.
Les pratiquants bouddhistes qui sont en quête de l’illumination doivent comprendre le sens véritable de la sagesse. C’est impératif. Qu’ils ne pensent pas que la méditation définit le bouddhisme chan.
Je vous invite à ce sujet à consulter les deux livres que j’ai écrits : Chan : wu qian yu wu hou
[53] et Zhengfa yan : cang hufaji
[54]. Ces deux livres vous permettront de recevoir l’enseignement juste et de connaître la pratique juste à réaliser.
Si certaines personnes n’ont pas atteint les différents niveaux de méditation et qu’elles prétendent cependant auprès d’autres personnes qu’elles les ont atteints, elles diffusent un mensonge énorme et violent un précepte important des bodhisattvas. Les pratiquants doivent montrer sur ce plan la plus grande prudence.
Ceux qui souhaitent poursuivre sur la voie du dharma, Xiao Ping Shi les conseillera avec le plus grand soin.
15 mai 1996
[1]Dharmakaya, synonyme ici de tathagatagarbha. On parle métaphoriquement de « corps » du dharma pour expliquer que ce « corps » infini est à l'origine de tous les autres corps.
[2]Ce qu'on pourrait traduire par : « ce qui n'a jamais été réduit et n'a jamais été augmenté ».
[3]L'un des dix disciples les plus avancés du Bouddha.
[4]Autrement dit, la première cause.
[5]Image pour exprimer la libération d'un individu.
[6]Autre nom d'un bouddha, évoque un être libéré de tout.
[7]Fait de désigner la vraie ainsité par des mots, des concepts, certains aspects de la vraie ainsité...
[8]Qui permet au bodhisattva de voir ce qu'est la vraie ainsité et ce qu'elle n'est pas.
[9]Autre nom de la vraie ainsité, qu'on peut traduire par « conteneur » (des graines karmiques) ou diamant (d'où le sutra du diamant). Dans le cas présent, Vajragarbha est un disciple qu'on présume être donc d'un très haut niveau spirituel.
[10]C'est toujours ici Vajragarbha qui parle.
[11]Tout pratiquant ayant atteint au moins le premier bhumi.
[12]Les trois véhicules sont trois pratiques : la pratique du śrāvaka, celle du pratyeka-buddha et celle du bodhisattva.
[13]Huitième bhumi. Le pratiquant est sorti du cycle des réincarnations.
[14]Autrement dit, le pratiquant va mettre en mouvement de plus en plus de dharma fonctionnels non contaminés.
[15]Synonyme de tathagatagarbha.
[16]Signifie « Bouddha » ou, littéralement, « le plus précieux du monde ».
[17]Un bouddha présenterait trente-deux caractéristiques, parmi lesquelles une tête protubérante, une langue large et mince...
[18]Traduction possible : « sutra de l'observation et de la compréhension des causes des karmas négatifs et positifs ».
[19]Première vision : prendre ce qui n'est pas durable pour quelque chose de durable. Deuxième vision erronée : se tromper sur la nature du vrai bonheur. Troisième vision erronée : prendre un faux moi pour le vrai moi. Quatrième vision erronée : prendre quelque chose d'impur pour la pureté.
[20]En sanskrit : ce qui ne s'arrête jamais.
[21] Les six vijñāna, les dix-huit fonctions et les douze entrées.
[22]Groseille à maquereau. Toutefois, le terme désigne également « ce qu'on ne peut pas définir ».
[23]« Les arhats », précise ici Maître Xiao.
[24] Mondes des dieux célestes, des êtres humains, des asura, des êtres affamés, des animaux et de l’enfer.
[25] Auteur présumé notamment du Mahābhārata, la plus célèbre épopée hindouiste.
[26] La Terre, située au sud de la Voie Lactée.
[27] Synonyme de « Bouddha », signifie « le plus précieux du monde ».
[28] La traduction rend mal le sens véritable des propos de maître Xiao. L’idée est qu’un boddhisattva de premier bhumi est en mesure de créer cent corps et de les animer tous en même temps, comme un marionnettiste est en mesure d’agiter simultanément plusieurs pantins.
[29] « Amala » ou « amalaka » signifie « fruit ». Amalavijñāna est appelée également « la neuvième vijñāna », autrement dit, la huitième vijñāna une fois qu’elle a été parfaitement « nettoyée ».
[30] Trois mille systèmes solaires, dans le bouddhisme, correspondent à une galaxie.
[31] Manas.
[32] La conscience du vrai moi fonctionne d’une manière tout à fait différente du fonctionnement de la conscience mentale.
[33] Niveau le plus élevé du monde de la forme.
[34] Le maître Ajita Kesakambalin, nihiliste; Pakudha Kaccayana, qui ne conçoit le monde qu’en sept éléments, parmi lesquels le concept de destin ; Purana Kassapa, qui adhère à l’idée de prédétermination ; Makkhali Gosāla, qui croit qu’il existe une force cosmique qui détermine toutes nos actions ; Sanjaya Belatthiputta, qui fait une règle du scepticisme ; Nigantha Nataputta, fondateur du jaïnisme.
[35] Il existe six chemins de réincarnation. Le Bouddha ne parle que de cinq chemins parce que les asuras, l’un des six chemins, sont déjà présents dans les cinq autres chemins.
[36]Ouvrage qui réunit dix écrits sanskrits de dix bodhisattva et portant sur l‘étude approfondie des vijñāna (ce que signifie le titre en sanskrit de l’ouvrage). Les dix écrits ont été réunis en un seul volume et traduits en chinois par le maître Xuanzang.
[37] Disciple du Bouddha.
[38] Qui correspond, pour eux, au moment où un certain bruit les fait sortir de l’obscurité.
[39] Soto, en japonais.
[40] L’ensemble des remarques tirées de ces deux sutras nous permettent de comprendre que le tathagatagarbha ne dispose pas de la capacité d’observation et qu’il est incapable d’introspection.
[41] Le vrai cœur.
[42] Le sutra se nomme en chinois : Fu shuo zhuangyan putixin jing.
[43] Le tathagatagarbha, qui est le chemin du milieu, leur échappe.
[44] Qui ne produit aucun karma positif et aucun karma négatif.
[45] La vraie ainsité, la sagesse du grand et parfait miroir, la sagesse de l’égalité de toutes choses, la sagesse de la parfaite et merveilleuse observation, et la sagesse du parfait fonctionnement de toute action. Ces cinq dharma sont expliqués en détail dans le Lankavatara sutra.
[46] L’attachement à toute chose, le besoin de ce qui n’est pas le vrai moi pour pouvoir créer, et la capacité de créer des choses parfaites et sans difficulté.
[47] Collecte, enregistre les choses ; fait apparaître ce qu’elle a stocké ; attribue une nature propre à chaque chose ; manifeste chaque graine karmique sous l’une des quatre formes suivantes : terre, eau, feu, vent ; conçoit une cause pour chaque conséquence et une conséquence pour chaque cause ; constitue les conditions nécessaires pour qu’une cause produise des fruits ; manifeste les fruits karmiques.
[48] Voir note 45.
[49] Pratiquants qui ont persévéré dans la pratique du bouddhisme et qui ont travaillé tout particulièrement la générosité.
[50] Anuttara signifie supérieur, samyak signifie la vraie compréhension de l’égalité universelle, et sambodhi signifie la véritable illumination. Le terme complet s’agit simplement du fait d’être illuminé.
[51] Cette conscience mentale est liée au bardo et disparaît avec lui. Par exemple, cette conscience mentale sera capable de reconnaître un membre de sa famille, mais ne pourra pas communiquer avec lui.
[52] L’œil physique ; l’œil du ciel ; l’œil de la sagesse ; l’œil du dharma ; l’œil du Bouddha.
[53] Chan, avant et après l’illumination (traduction libre)
[54] Le Véritable enseignement du Bouddha du point de vue du tathagatagarbha (traduction libre)